Au Sénégal, des «nervis» sont-ils de sortie?
6 juin 2023
Statu quo au Sénégal après l’explosion de violences qui a agité le pays jeudi et vendredi derniers, dans la foulée de la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ». Dans ce contexte de tension latente, la présence de « nervis » – des hommes de main – aux côtés des forces de maintien de l’ordre pose question.
Des dizaines de véhicules, notamment des pick-up blancs non immatriculés, stationnent depuis dimanche devant le siège de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel, dans le quartier de Mermoz. Des jeunes sortent du bâtiment avant de s’engouffrer dans les voitures. « Ils arrivent, ils vont passer devant les policiers pour aller arrêter les gens et ils sont armés », décrit Maître Moussa Diop, désormais membre de la plateforme des Forces Vives F24, qui a dénoncé ce lundi 5 juin le recrutement de nervis par le pouvoir.
« Il y a des personnes qui dépendent du parti au pouvoir. Je tiens à le préciser parce que j’ai des images, j’ai aussi le point de départ. Elles sont utilisées par le pouvoir pour faire un travail qui n’est pas le leur. On ne peut pas prendre des personnes privées pour assurer l’ordre public. »
Moussa Diop a quitté la coalition présidentielle en 2020, et dit « ne pas avoir connu de nervis » avant les émeutes meurtrières de mars 2021. Pourtant, « cette pratique est loin d’être nouvelle dans l’histoire politique du Sénégal », affirme un responsable de la société civile, « et par différents partis ». À chaque pic de tensions, ces pick-up redoutés font leur apparition.
Alors que le ministre Mame Mbaye Niang a appelé à « faire face, quartier par quartier », qui sont donc ces jeunes regroupés ces derniers jours au siège de l’APR ? « Toutes les personnes au siège de l’Alliance pour la République, ce sont des militants. L’Alliance pour la République n’a recruté aucun jeune pour faire face à qui que ce soit. Notre parti a toujours disposé d’un parc automobile », justifie le député Abdou Mbow, porte-parole adjoint du parti. Quant aux individus que l’on voit sur des pick-up aux côtés des forces de défense et de sécurité et qui ne sont pas en tenue, le cadre de l’APR répond : « Dans tous les pays du monde, on voit des policiers en civil. Ce sont des questions qu’on doit poser aux forces de défense et de sécurité. »
De son côté, la police a dénoncé la présence de « civils armés » au sein des manifestants.
Les réseaux sociaux, puis les données mobiles sur certaines plages horaires, ont été suspendues par le gouvernement depuis jeudi 1er juin. Une suspension d’internet mobile qui a de nombreuses conséquences économiques pour la population. Dans sa boutique du marché artisanal de Soumbédioune, Adji attend les clients. Mais d’habitude, elle travaille aussi via les réseaux sociaux où elle poste ses marchandises qu’elle vend et expédie à l’international
Une activité à l’arrêt, qui inquiète cette mère de famille alors que la Tabaski et ses dépenses approchent à grand pas : « Comme il n’y a pas d’internet, on ne peut pas savoir si le client est intéressé ou non. On ne peut rien recevoir et rien envoyer. C’est une perte qu’on ne peut même pas calculer comment on va s’en sortir. C’est un secteur informel, nous, on travaille au jour le jour. Ce qu’on gagne aujourd’hui, c’est ça qu’on doit payer pour vivre demain. Si on reste une semaine sans travail, qu’est-ce qu’on va devenir ».
Ousseynou Sy Ndiaye, de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal, demande la levée de cette mesure qui a de lourdes conséquences pour le secteur informel ou pour les gros importateurs.
Pape Seck, derrière la grille de sa boutique, ne peut plus utiliser les applications de paiement mobile que ce soit pour payer ses fournisseurs ou pour être payé par ses clients, des applications qui demandent à être connectés : « Il y a beaucoup de gens qui paient avec l’électronique parce que pour avoir de la monnaie, c’est compliqué. J’ai arrêté actuellement parce qu’il y a des problèmes de connexion. Cela réduit le business, beaucoup même ».
Couper internet totalement pourrait faire perdre près de 5 milliards de francs CFA par jour au Sénégal, selon le simulateur de l’organisation Netblocks, qui surveille l’accès à internet à travers le monde.
RFI