Il n’aura fallu que quelques heures pour que le groupe terroriste Etat islamique (EI) revendique l’attentat du Crocus City Hall. Une fusillade suivie d’un important incendie dans cette salle de concert de la banlieue de Moscou (Russie) a fait au moins 133 morts, vendredi 22 mars dans la soirée.
Vers une heure du matin (23 heures à Paris) samedi, l’organisation terroriste a publié sur Telegram un communiqué affirmant que ses combattants étaient responsables de l’attaque. Dans la journée, le groupe jihadiste a précisé que l’assaut avait « été mené par quatre combattants de l’EI armés de mitrailleuses, d’un pistolet, de couteaux et de bombes incendiaires ».
De son côté, le Kremlin a annoncé samedi l’arrestation de 11 personnes, dont les « quatre » assaillants, alors qu’une enquête pour « acte terroriste » a été ouverte. Mais lors de sa première allocution télévisée depuis le drame, Vladimir Poutine n’a pas évoqué la revendication de l’organisation jihadiste.
La Russie, cible de l’EI depuis plusieurs années
Ce n’est pas la première fois que la Russie est la cible du terrorisme jihadiste. L’EI a notamment revendiqué l’attaque ayant blessé 13 personnes en décembre 2017 dans un supermarché de Saint-Pétersbourg.
C’est cette fois la branche afghane de l’organisation Etat islamique, l’Etat islamique au Khorasan (EIK), qui a revendiqué l’attentat de vendredi. Ce dernier est actif en Russie : deux semaines avant l’attentat du Crocus City Hall, les autorités russes avaient annoncé avoir tué des membres présumés d’une cellule de l’EIK dans la région de Kalouga, au sud-ouest de Moscou. Ils étaient soupçonnés de fomenter un attentat contre une synagogue de la capitale. Le 3 mars, six combattants présumés de l’EIK avaient été tués par les forces russes en Ingouchie, dans le Caucase russe.
Ce groupe « fait une fixation sur la Russie depuis deux ans, critiquant fréquemment le président Vladimir Poutine dans sa propagande », a déclaré au New York Times Colin P. Clarke, analyste spécialiste du terrorisme au sein de la société de conseil en sécurité Soufan Group. « L’EIK accuse le Kremlin d’avoir du sang musulman dans les mains, faisant référence aux interventions de Moscou en Afghanistan, en Tchétchénie et en Syrie ».
Dans son communiqué, l’EI précise que l’attentat de vendredi s’inscrit « dans le contexte (…) de la guerre faisant rage » entre le groupe et « les pays combattant l’islam ». Mais cela n’a rien de nouveau : Moscou et l’EI « ont un long contentieux », a rappelé vendredi sur franceinfo Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste du jihadisme.
« Il y a, entre guillemets, une ‘dette de sang’ entre la Russie et l’EI qui remonte à plusieurs années, à la guerre en Syrie ou à la Tchétchénie. »
Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste du jihadismeà franceinfo
En Tchétchénie, les rebelles séparatistes se sont peu à peu islamisés après la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), jusqu’à l’allégeance à l’EI de la rébellion armée islamiste dans le Caucase russe, en juin 2015. La même année, Vladimir Poutine a ouvert un nouveau « front » à l’étranger avec le groupe jihadiste en lançant des interventions militaires sur le sol syrien, pour soutenir le président Bachar al-Assad. Dans ce cadre, l’armée russe a mené des frappes contre des positions de l’EI.
Enfin, les groupes islamistes au Sahel dénoncent régulièrement la Russie et les groupes paramilitaires présents sur le continent africain, comme Wagner. Toutes ces interventions russes sont autant de raisons pour l’EI de cibler Moscou. L’organisation a ainsi revendiqué l’attentat-suicide contre l’ambassade russe à Kaboul (Afghanistan), qui a tué six personnes en septembre 2022.
Des groupes islamistes actifs dans le Caucase russe, ralliés à l’EI
Moscou est par ailleurs confronté au terrorisme islamiste sur son territoire, plus particulièrement dans le Caucase russe, où les séparatistes se sont pour certains ralliés à l’EI. Ces dernières années, le groupe terroriste a notamment revendiqué une fusillade ayant fait cinq morts en février 2018 dans le Daghestan, le meurtre de deux policiers à Astrakhan, en avril 2017, ou une autre fusillade ayant tué une personne le 29 décembre 2015, à nouveau dans le Daghestan.
« A un moment, l’EI a eu une forme d’émirat dans le Caucase qui a été totalement éliminé par les Russes. Les prisons russes sont également pleines de jihadistes de l’EI ou d’autres factions, donc le contentieux est très ancien », commente Wassim Nasr. Près de 4 500 Russes, notamment originaires de cette région, ont combattu aux côtés de l’EI, selon les autorités. L’organisation n’aurait donc pas eu de peine à recruter pour mener une attaque sur le sol russe.
Reste à savoir comment cet attentat a pu se produire sans être déjoué par les autorités russes, pourtant sur le qui-vive dans un contexte de guerre en Ukraine. « Il y a encore beaucoup de questions qui restent sans réponse compte tenu du fait que la Russie est un pays en guerre avec une surveillance importante », remarque auprès de BFMTV David Rigoulet-Roze. D’après ce chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, également consultant en relations internationales, l’attaque « soulève un certain nombre d’interrogations sur la performance des services » de renseignements russes.
Il pourrait s’avérer difficile de faire toute la lumière sur ce point. Après la prise d’otages de Beslan par un commando tchétchène en 2004, le pouvoir russe avait verrouillé l’enquête sur les éventuelles failles de sécurité.
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