Arrêté au Liberia, le colonel guinéen Claude Pivi «continue d’être perçu comme quelqu’un de redoutable»

Arrêté au Liberia, le colonel guinéen Claude Pivi «continue d’être perçu comme quelqu’un de redoutable»

19 septembre 2024 Non Par Doura

Il était le fugitif le plus recherché de Guinée. Après plusieurs mois de cavale, le colonel Claude Pivi a été arrêté par la police libérienne. L’un des hommes forts de la junte de Moussa Dadis Camara, il était le seul accusé absent fin juillet lors du verdict du procès historique du massacre du 28 septembre 2009. Le tribunal l’avait donc condamné par contumace à la prison à la perpétuité. Kabinet Fofana, directeur de l’Association guinéenne de sciences politiques est l’invité d’Afrique midi.

RFI : Comment réagissez-vous à la nouvelle de l’arrestation de Claude Pivi ?

Kabinet Fofana : Il faut dire que c’est une nouvelle à laquelle personne ne s’y attendait. On n’en savait pas assez sur la recherche de Claude Pivi. Beaucoup de spéculations le donnaient pour mort, d’autres pensaient aussi qu’il était en vie. Le fait, aujourd’hui, de l’arrêter, de l’appréhender, est quelque chose à laquelle peu de gens s’attendaient. Surtout que, en termes d’actualité politique, les gens sont plus sur l’avant-projet de nouvelles constitutions. On parlait moins ces derniers temps de Claude Pivi.

Cela fait presque un an qu’il était en cavale. Êtes-vous étonné qu’il ait été arrêté au Liberia, dans la région frontalière de la Guinée forestière, dont il est originaire ?

Non, je ne suis pas du tout étonné du moment où vous l’avez rappelé, Claude Pivi est de cette contrée-là. La proximité de la Guinée avec le Liberia est une hypothèse qui était plausible. Il y a aussi le fait que Claude Pivi connaît bien le Liberia pour y avoir travaillé dans le cadre des casques blancs de l’Écomog. Il connaît et maîtrise bien aussi la forêt, donc on peut bien comprendre qu’il soit parti de ce côté.

On dit notamment que, dans les années 1990, Claude Pivi aurait assuré la sécurité de celui qui était alors chef rebelle avant de devenir président, Charles Taylor.

Oui, absolument. Claude Pivi connaît bien le Liberia, il a donc servi aux côtés de Charles Taylor. Il connaît bien la Sierra Leone. D’ailleurs, il en fait souvent mention dans son parcours, pour avoir été un soldat qui connaît bien le terrain, donc cela ne m’étonnerait pas justement qu’il soit reparti se réfugier de ce côté-là.

Claude Pivi a donc été poursuivi, avec Moussa Dadis Camara et neuf autres anciens responsables de la junte, pour son rôle dans le massacre du 28 septembre 2009. Que lui reproche-t-on dans ce dossier ?

Il est reproché à Claude Pivi, tout comme à Dadis Camara et d’autres, d’avoir perpétré les massacres du 28-Septembre. Lui est condamné à la réclusion à perpétuité pour son rôle direct joué sur le terrain. Dadis Camara, pour le rôle de commandeur qu’il était et pour n’avoir pas pris de disposition en termes de sanctions disciplinaires ou même en termes de poursuites judiciaires. Claude Pivi est perçu comme étant celui qui a joué un rôle fondamental dans la perpétuation matérielle des massacres du 28 septembre 2009.

Parce qu’il était à l’époque ministre chargé de la Sécurité présidentielle. Pourquoi l’ancien président Alpha Condé, qui a été démocratiquement élu, après la junte de Moussa Dadis Camara, n’a jamais fait arrêter Claude Pivi. Il avait même d’ailleurs promu, chargé de la Sécurité présidentielle.

Oui, je pense que, justement, le fait que le président Alpha Condé n’a pas pu tenir, ou n’a pas voulu que le procès se tienne pendant qu’il était au pouvoir, explique le fait que ceux-ci continuaient à avoir un rôle. Vu l’implication de Claude Pivi, mais aussi de Moussa Dadis Camara, parce que c’étaient eux qui étaient les tenants du pouvoir à l’époque. Claude Pivi était donc celui qui était chargé de la garde présidentielle. Il y avait aussi le fait qu’on pouvait compter sur le poids électoral, l’influence de Moussa Dadis Camara. Claude Pivi était l’un des pions, ou plutôt l’un des éléments sur lesquels le président Alpha Condé s’appuyait pour donc faire les yeux doux au capitaine Moussa Dadis Camara qui continue à être très influent du côté de la Guinée forestière.

C’est-à-dire qu’on redoutait encore son pouvoir de nuisance.

Non seulement son pouvoir de nuisance, mais aussi l’influence qui était la sienne. Il faut rappeler que Claude Pivi est perçu comme un grand guerrier et comme le bras séculier du pouvoir de Moussa Dadis Camara. Il bénéficie de cette grande influence, de cette respectabilité, aussi bien dans l’armée qu’au niveau de la forêt. Il y avait ces deux dimensions, la première étant l’influence qu’il avait dans l’armée, mais aussi le fait qu’il était quelqu’un qui était plus ou moins bien perçu du côté de la forêt. Le président Alpha Condé a voulu surfer sur ces deux dimensions, qui lui assurait l’électorat de la forêt et cela a continué pendant les dix ans de son règne.

Pour certains, il était un soldat charismatique doté de pouvoirs mystiques, mais pour d’autres, il était une brute épaisse sans diplôme. Est-ce qu’il continuait à faire peur depuis son évasion ?

Le caractère spectaculaire et même hollywoodien de son évasion de la prison centrale, alors que cette prison jouxte le palais Mohammed V, que vous y avez la date prétorienne, formée par le groupement des forces spéciales. Le fait qu’il soit parvenu, lui et son fils, à s’en évader était un élément de persuasion extrêmement important. Mais aussi la maîtrise qu’il a encore de l’armée, l’influence qui continue à faire valoir au sein de cette armée. Tout ceci fait qu’il continue, jusqu’hier, à être perçu comme quelqu’un de redoutable et participe à la construction de sa capacité de domination, mais aussi de sa force de frappe.

Il ne fait aucun doute pour vous que les autorités guinéennes vont demander son extradition.

Je pense qu’ils vont très rapidement le faire, sachant qu’il y a un mandat d’arrêt qui a été édité contre Claude Pivi. Ils vont très rapidement demander qui soit qu’il soit extradé.

Rfi