Alseny Sall: «Ce procès est à la fois un espoir pour les victimes et un défi pour l’État guinéen»
2 décembre 2022Depuis deux mois, ils sont onze accusés qui comparaissent au tribunal de Conakry pour le massacre, le 28 septembre 2009, de 157 personnes et le viol de plus de 100 femmes. Beaucoup sont dans le déni et ne se souviennent de rien. Mais un homme parle : c’est Toumba Diakité, qui était l’aide de camp du président guinéen Dadis Camara. Saura-t-on, grâce à lui, qui a donné l’ordre de cette tuerie ? Alseny Sall est le porte-parole de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH). En ligne de Conakry, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI: Plusieurs des onze accusés sont déjà passés à l’interrogatoire et notamment Toumba Diakité, l’ancien aide de camp de Dadis Camara, est-ce que son audition a permis d’avancer dans la connaissance de la vérité ?
Alseny Sall: En tout cas, il fait partie de ceux qui ont fait des déclarations très fracassantes, qui ont donné des informations très claires, très précises, et le fait aussi pour lui de citer d’autres personnes qui seraient impliquées de près ou de loin dans la perpétration de ces évènements, pour nous aussi c’est une bonne chose. Donc il a donné de la matière au tribunal, par contre nous déplorons que certains accusés versent dans la négation, et refusent vraiment de donner toute la part de vérité dans cette affaire.
Et peut-être, pensez-vous à l’ex-ministre Claude Pivi, à l’ex-ministre Thiégboro Camara et au neveu de l’ex-président Dadis Camara, à savoir Marcel Guilavogui ?
Tout à fait, mais aussi le ministre de la Santé à l’époque des faits, le colonel Abdoulaye Chérif Diaby, donc évidemment nous avons constaté quand même qu’ils allaient dans une négation systématique des faits. Mais dans tout ça, ce qui est intéressant, c’est que nous constatons qu’il y a de l’incohérence aujourd’hui au niveau de la défense, les accusés commencent à s’accuser mutuellement entre eux, donc pour nous, ce sont quand même des bonnes choses pour comprendre davantage ce qui s’est passé.
Alors les contradictions que vous soulevez, n’est-ce pas justement grâce au fait que Toumba Diakité, l’ancien aide de camp, a rompu le pacte de silence entre les accusés ?
Tout à fait, et le fait qu’aujourd’hui on commence aussi à arrêter d’autres personnes qui seraient impliquées de près ou de loin par rapport à ces évènements. Tout ça pour nous contribuera à la manifestation de la vérité dans cette affaire. Donc il y a beaucoup d’acteurs qui sont impliqués, qui sont encore en liberté.
Et quand vous dites que certains se contredisent par rapport à leur première déclaration, à qui pensez-vous en particulier ?
Mais si vous constatez par exemple, il y a un avocat qui s’est déporté la semaine dernière, le vendredi, pour la défense du colonel Claude Pivi et du capitaine Marcel Guilavogui, tout simplement parce que ces deux accusés avaient des versions différentes des évènements.
Oui, ces deux accusés sont dans le déni ?
Exactement, ils sont dans le déni, mais aussi aujourd’hui ils ont une ligne de défense contradictoire.
Alors l’accusé Toumba Diakité a tendance à charger les autres accusés, ça c’est la grande surprise de ce début de procès, mais en revanche il a tendance à s’exonérer de toute responsabilité et à dire au contraire que c’est lui qui a sauvé les dirigeants de l’opposition qui étaient à l’intérieur du stade, est-ce que tout cela n’est pas trop beau pour être vrai ?
Justement, raison de plus, vraiment, de prendre du recul par rapport aux déclarations des uns et des autres. Donc il y a aussi les victimes qui viendront plus tard pour témoigner ce qu’elles ont vécu et vu au stade, afin qu’elles obtiennent justice dans cette affaire.
Alors c’est vrai qu’on attend aussi le témoignage des victimes, et notamment des dirigeants de l’opposition qui étaient à l’intérieur du stade, on pense par exemple à Cellou Dalein Diallo et à Sidya Touré, le problème c’est que ces deux grandes personnalités sont à l’étranger et qu’elles ont peur de rentrer au pays et de se retrouver en prison sous le régime actuel.
Tout à fait, comme vous savez, les victimes sont nombreuses, elles sont plus de 400 constituées pour confondre les accusés qui sont à la barre pour témoigner.
Mais est-ce que vous souhaitez que, s’ils ne peuvent pas rentrer à Conakry, Cellou et Sidya puissent témoigner par un système vidéo ?
Ça serait bien, parce que pour nous tout ce qui pourrait concourir à la manifestation de la vérité est nécessaire dans ce procès.
Dans le box des accusés, il y a l’ancien président Dadis Camara, qui n’a pas encore été interrogé, qu’est-ce que vous attendez de son interrogatoire ?
Ecoutez, monsieur Camara a été le président de la République, donc commandant en chef des forces armées, il y a des accusés qui l’accusent déjà, qui le chargent dans leurs déclarations, donc on attend pour qu’il vienne donner sa part de vérité par rapport à ce qui s’est passé.
Mais s’il s’enferme dans le déni, comme Claude Pivi, comme Marcel Guilavogui, comme Thiégboro Camara, est-ce que la Cour ne risque pas de manquer de preuves et d’indices matériels, 13 ans après les faits, pour pouvoir le confondre ?
Mais écoutez, on n’a pas encore commencé à discuter les pièces de la procédure, je vous apprends que la phase des pièces de la procédure viendra avec des vidéos à l’appui, donc tout ça, ça viendra. Donc c’est un procès qui va prendre bien sûr du temps. Notre souhait, c’est qu’il vienne faire ses déclarations, donner sa version des faits, mais s’il s’inscrit dans la négation, je pense que le tribunal aussi en tirera toutes les conséquences.