《Alpha Condé n’est pas visé par les enquêtes de la CRIEF》 : Aly Touré
28 mars 2022En Guinée, les nouvelles autorités misent sur la lutte contre la corruption. Elles veulent instaurer un système de transparence, avec un outil : la Cour de répression des infractions économiques et financiers, la Crief. Une instance qui traite de dossiers de détournements de deniers publics présumés, d’enrichissement illicite, de blanchiment d’argent et corruption. À ce jour, 117 personnes sont inculpées, 30 dossiers ont été transmis devant la Crief. Comment cette cour fonctionne-t-elle ? Comment expliquer qu’autant de figures politiques sont concernées par ces enquêtes ? Pour y répondre, RFI s’entretient avec Aly Touré, le procureur spécial de cette cour.
RFI : La Crief analyse actuellement 30 dossiers dont la liquidation d’Air Guinée, l’audit du projet coton, pourquoi exhumer des dossiers qui remontent à plus de dix ans ?
Aly Touré : Dans le souci d’assainir la gestion de la chose publique, tout ce qu’il y a eu comme manquement aux obligations, non seulement de passation des marchés publics, mais aussi des détournements de deniers publics et corruption et blanchiment de capitaux, ce sont tous ces faits-là que le parquet de la Crief analyse et transmet à la chambre compétente : soit devant la chambre de l’instruction, soit devant la chambre de jugement. Donc ce n’est nullement une exhumation de dossiers que nous faisons.
Vos équipes sont-elles suffisamment outillées pour traiter des questions aussi pointues qui impliquent parfois des liens vers l’international ?
Absolument, nous avons au sein de la Crief des compétences en matière d’enquête financière et de recouvrement des avoirs criminels. Nous avons au sein de la Crief des compétences à ce niveau. Et lorsque nous n’en avons pas, nous faisons appel à des personnes-ressources qui sont des experts pour venir apporter leur concours à l’œuvre de justice
En touchant à ces dossiers, vous pointez du doigt des personnalités politiques de tous bords, Cellou Dalein Diallo, Mamadou Sylla, l’ancien Premier ministre Lansana Kouyaté ou encore Tibou Kamara, que répondez-vous à vos détracteurs qui vous reprochent finalement de faire « le ménage » dans l’ensemble de la classe politique guinéenne ?
Moi je suis un magistrat poursuivant, je suis un parquetier. Devant moi il n’y a que des citoyens qui sont reprochés des faits qui relèvent de la compétence de la Crief. Je ne pense pas en termes de personnalités politiques. Ce sont des Guinéens et la casquette politique moi ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas si vous voulez des critères d’appréciation en matière de poursuites chez nous. D’autant plus que les dispositions de l’ordonnance qui crée la Crief fait sauter carrément le verrou des immunités, des immunités juridictionnelles et des immunités au niveau de quelques professions que ce soient.
Mais en convoquant des acteurs politiques devant votre Cour, cela donne tout de même le sentiment que vous tentez de les écarter des débats sur la conduite de la transition ?
Non, loin de là. Notre action n’est pas dirigée pour écarter qui que ce soit de quoi que ce soit. Nous sommes purement judiciaires. Maintenant, s’il y a des répercussions que les gens peuvent interpréter à leur manière, tant mieux. Nous, nous suivons notre action judiciaire et nous sommes carrément concentrés dans ce cadre-là.
Jusqu’où irez-vous ? Est-ce que des responsables militaires sont aussi concernés ?
A date, je n’ai pas encore de dossier par rapport à cela. Je n’en ai pas encore reçu, mais retenez que la Crief ne fait pas de distinction entre telle ou telle personnalité.
Est-ce que l’ancien président Alpha Condé est aussi visé par vos enquêtes ?
Pas pour le moment.
Mais il y a une possibilité ?
C’est à voir, parce que les analyses sont en cours : nous sommes en train de recevoir les rapports de différentes entités, nous sommes en train de les étudier.
Etes-vous prêt par souci de transparence à publier la liste des fonctionnaires soupçonnés de blanchiment de capitaux avec les montants correspondant au compte bancaire, comme le réclame le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) ?
On ne publiera ces situations comme ça que lorsqu’il y a une condamnation définitive à ce sujet. Donc nous ne pouvons pas maintenant, là, publier ce genre de situation au risque d’enfreindre à la présomption d’innocence qui est un principe sacrosaint dans nos droits.
Le revers de la médaille de tout ce travail c’est que vous êtes victime de menace de mort. Est-ce que vous êtes confronté à d’autres types de pressions ?
Je suis un parquetier. Je le fais depuis près de 12 ans sans discontinuer. C’est le quotidien du parquetier. Vous ne pouvez pas être parquetier et avoir peur des menaces : vous jouez sur des intérêts de personnes qui ont longtemps duré dans cette situation. Moi je m’attends à ce genre de situation mais on prend des dispositions pour ne pas que, ce que les gens peuvent penser puisse arriver.