Eugène Berg : « Engager la Guinée sur la voie démocratique »
15 janvier 2022 Non Par LA RÉDACTION
TRIBUNE. Menée par le colonel Mamady Doumbouya, la junte qui a renversé Alpha Condé devrait accélérer pour mettre la Guinée sur les rails de la démocratie.
par Eugène Berg*
Publié le 13/01/2022 à 17h53
La junte militaire menée par le colonel Mamady Doumbouya, commandant des forces spéciales guinéennes, s’est emparée du pouvoir le 5 septembre 2021. Au rythme où l’on va, elle semble peu décidée à remettre la Guinée sur les rails de la démocratie et du pouvoir civil. Dès sa prise de pouvoir, la junte a cherché à effacer les effets de son assaut de la présidence qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de militaires, essentiellement des membres de la garde présidentielle. Le Comité national pour le redressement et le développement (CNRD) de Mamady Doumbouya a en effet tenté de faire oublier la brutalité de cette attaque, en assurant un traitement digne au chef d’État déchu et en lui permettant de voyager à l’étranger.
Dès son premier discours, Mamady Doumbouya a prononcé les mots tant attendus par la population lassée par l’arrogance et l’isolement d’Alpha Condé. L’ex-président n’avait en effet pas pris la mesure de la vague contestatrice, représentée à ses yeux par une poignée de « petits délinquants de drogue » des quartiers à majorité peule, soi-disant manipulés par son principal opposant, l’ancien Premier ministre libéral Cellou Dalein Diallo et son parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). La France et les États-Unis se montraient par ailleurs inquiets du rapprochement de la Guinée avec la Turquie et ses appels en faveur de la Russie.
Des premières mesures symboliques plébiscitées par la population
Les premières mesures de la junte, aspirant à lutter contre la gabegie et la corruption, lui ont sans doute attiré les faveurs de la population. Le CNRD a fait geler, entre autres, divers comptes bancaires, ceux de la présidence, des ministères, des membres du gouvernement sortant, ainsi que des directeurs des impôts, des douanes, du Trésor et du Budget. Les ministres ont été sommés de rendre leurs voitures de fonction et de déposer leur passeport. Des mesures certes symboliques, mais qui ne peuvent qu’être plébiscitées par les populations.
Mais ceci ne représente qu’un maigre viatique. Il reste à établir un véritable programme de transition et de développement. Mamady Doumbouya ne peut pas se borner à emprunter la voie de ses prédécesseurs. Sur les six présidents qui se sont succédé depuis 1958, quatre sont des militaires (dont trois putschistes) : lui-même, le colonel Lansana Conté (1984), le capitaine Moussa Dadis Camara (2008), ainsi que le général Sékouba Konaté (2009), chargé de conduire une transition démocratique, qui n’a jamais été menée à bien.
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Introduire un cadre de dialogue inclusif est un préalable impérieux
Les défis à relever sont nombreux. Le pays, qui se targue d’avoir les réserves de bauxite les plus importantes du monde – sur lesquelles la Chine a jeté son dévolu – a connu ces dernières années une croissance annuelle de 5 %. Pourtant, 70 % de sa population vit toujours avec moins de 3,20 $ par jour. La production de l’aluminium, passée de 16 millions de tonnes en 2013 à 88 millions de tonnes en 2020, n’a guère profité à la population. Le préalable au développement socio-économique du pays et à une plus juste redistribution de ses richesses repose sur le rétablissement de la démocratie et donc la réussite de la transition civile.
Dans ces conditions, l’avenir démocratique du pays semble reposer largement sur les épaules de Cellou Dalein Diallo qui, lors du premier tour de scrutin présidentiel de 2010, avait obtenu 44 % des voix contre 18 % à Alpha Condé, résultat que ce dernier a réussi à renverser à l’aide de manœuvres qui lui ont permis, par la suite, de s’accrocher au pouvoir.
Cellou Dalein Diallo, président depuis 2007 de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), a été Premier ministre entre décembre 2004 et avril 2006. Il s’est révélé un homme compétent et loyal. Dans son message de vœux du Nouvel An, il s’est posé en rassembleur et a exhorté la junte à poser les fondements d’un cadre de dialogue avec la classe politique. C’est d’ailleurs derrière lui qu’une centaine de partis politiques se sont rassemblés pour mettre en place une plateforme dénommée « Collectif des partis politiques ». Celle-ci est un front politique pluriel qui soupçonne la junte militaire de vouloir se maintenir au pouvoir. Elle exige ainsi la tenue d’élections libres dans les prochains mois, se plaçant de facto comme la principale alternative à la junte militaire.
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Créer les conditions d’une transition démocratique
Il appartient désormais au CNRD de choisir la voix de la sagesse en installant un cadre de dialogue politique inclusif, rassemblant les représentants des partis politiques, le gouvernement, la société civile et les partenaires techniques et financiers. Le sujet hautement sensible de la durée de la transition devrait en effet être défini sur la base des délais nécessaires à la réalisation des actions indispensables à l’organisation d’élections crédibles. Au préalable, il s’agirait de procéder à la rédaction d’une nouvelle Constitution, de réviser, s’il y a lieu, le Code électoral, de mettre en place un organe de gestion des élections sans inféodation politique et d’élaborer enfin un fichier électoral inclusif reflétant fidèlement la réalité du corps électoral guinéen. Ce qui avait, sous l’ère Alpha Condé, cruellement manqué et contribué à renforcer artificiellement les fiefs électoraux du parti au pouvoir.
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Pressions internationales sur la junte
La période d’incertitude ne saurait trop se prolonger, et les prétoriens au pouvoir à Conakry doivent se conformer aux normes démocratiques en cours en Afrique. Nul état d’urgence n’apparaît nécessaire. La communauté internationale en est pleinement consciente et ne relâche pas sa pression sur la junte. Le 1er janvier 2022, la Guinée a été exclue de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), le traité sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique, mis en place en 2000 sous l’administration Clinton pour faciliter et réguler les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Afrique. En effet, cet accord qui garantit un accès en franchise de droits à des milliers de produits sur le marché américain pour de nombreux pays africains est subordonné au respect des droits de l’homme, à la bonne gouvernance et à la protection des travailleurs.
Pour sa part, la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) qui avait condamné le coup d’État du 5 septembre, mais qui avait par la suite manifesté sa disposition pour accompagner la transition devant les lenteurs de celle-ci, vient de hausser le ton. Lors de leur 60e sommet ordinaire, qui s’est terminé le 12 décembre, les chefs d’État ont maintenu leurs sanctions contre Conakry en attendant des avancées concrètes dans l’organisation d’élections démocratiques. La Guinée a aussi été suspendue de l’Union africaine. Plus tôt sera instaurée la démocratie, plus celle-ci sera durable et inclusive, et plus les conditions d’une prospérité plus largement partagée seront réunies. Et plus vite la Guinée sortira de l’isolement politique et diplomatique.
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* Eugène Berg, ancien ambassadeur de France en Namibie et au Botswana, essayiste et professeur au Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS).