Tierno Monénembo – Mali, péril en la demeure !
23 octobre 2022CHRONIQUE. L’écrivain guinéen appelle les dirigeants à la vigilance, alors que le pays est plus que jamais confronté à la propagation djihadiste et aux crises de toutes sortes.
Par Tierno Monénembo*
Leur pénétration fut si rapide que sans l’appel au secours lancé à l’armée française, ils auraient atteint Bassam et les Iles de Loos, sans rencontrer la moindre poche de résistance. Dix ans après, les terroristes sont toujours là malgré les opérations Serval et Barkane. Et le désastre est tel (surtout au Centre et au Nord) qu’il a entraîné une brouille sans précédent entre Paris et Bamako. A tort ou à raison, l’ancienne puissance coloniale est soupçonnée de laxisme voire de duplicité : alliée, le jour ; complice des envahisseurs, la nuit. Pour marquer leur dépit, les autorités maliennes se sont rapprochées de la Russie et accepté les offres de service de la force Wagram dont on ne sait toujours pas le lien exact avec le Kremlin.
Après la crise de confiance, la crise de nerfs. C’est Le Drian, alors patron du quai d’Orsay qui s’enflamme : « Et je voudrais rappeler ici avec beaucoup de force que cette junte (entendez celle d’Assili Goïta) est illégitime et qu’elle prend des mesures irresponsables ». Un ministre français des affaires étrangères ne devrait pas parler comme ça… à une ancienne colonie de la France. On a vu un Quai d’Orsay plus adroit.
C’est le ministre malien des affaires étrangères qui prend la mouche à son tour : « Ce sont des propos empreints de mépris…des propos inacceptables…Les injures ne sont pas une preuve de grandeur. » Oui, ces propos sont inacceptables. On comprend parfaitement l’indignation des autorités maliennes. Mais le renvoi de l’ambassadeur français n’est-il pas disproportionné et somme toute, contre-productif ? Un communiqué bien senti du palais de Koulouba et une manifestation-monstre des forces populaires devant l’ambassade de France n’auraient-ils pas suffi ?
Nous sommes en 2022 : l’heure n’est plus à la rupture des relations diplomatiques mais à la consolidation de celles-ci surtout en temps de crise. Et puis, ce n’est pas malin pour un pays africain de se retrouver coincé entre le marteau des Russes et l’enclume des Français. En tout état de cause, on ne se libère pas en changeant de maître. Les Maliens devraient avoir présente à l’esprit l’expérience de leurs frères utérins guinéens qui, dans les années 60, s’étaient retrouvés exactement dans la même situation avec le résultat que l’on sait.
Tierno Monénembo
* 1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex aequo pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, Prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, Prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre. La dernière publication de Tierno Monénembo a été publiée aux éditions du Seuil. Son titre : « Saharienne indigo ».
Source : Le Point