Guerre en Ukraine : on vous explique pourquoi le 9 mai est une date-clé pour Vladimir Poutine

Guerre en Ukraine : on vous explique pourquoi le 9 mai est une date-clé pour Vladimir Poutine

8 mai 2022 Non Par LA RÉDACTION

Les soldats répètent pour les célébrations du 9 mai sur la place Rouge à Moscou (Russie), le 7 mai 2016. (SEFA KARACAN / ANADOLU AGENCY / AFP)

Célébré chaque année en Russie, ce jour commémore la capitulation de l’Allemagne nazie face aux Alliés en 1945. A l’approche de cette date, le président russe entend marquer une avancée décisive dans la guerre en Ukraine.

« Hurrah, hurrah ! » Comme chaque année, la Russie célébrera, le 9 mai, le « jour de la Victoire ». Cette date marque la capitulation de l’Allemagne nazie en 1945 face aux Alliés. Plusieurs cérémonies militaires seront organisées en grande pompe à travers le pays. La plus importante est prévue sur la place Rouge de Moscou, en présence de Vladimir Poutine, 11 000 soldats, 131 unités de matériel militaire et 77 avions et hélicoptères, selon l’agence de presse russe Interfax (en russe).

Selon le renseignement américain cité par CNN et le ministère de la Défense britannique (en anglais), le 9 mai marque aussi une date butoir pour le président russe, qui compte déclarer une victoire ou des avancées significatives sur le front ukrainien. « En prévision du 9 mai, Poutine s’est fixé l’objectif d’un défilé de la victoire pour cette guerre », a affirmé le secrétaire du Conseil de sécurité ukrainien, Oleksiy Danilov.

« Pour la Russie, le 9 mai est une fête nationale, un rendez-vous militaire important et il est à peu près sûr que, pour le président Poutine, ce doit être un jour de victoire », a également déclaré Emmanuel Macron, le 8 avril sur RTL.

Unir la population russe

Contrairement à ses alliés européens, la Russie célèbre la fin de la Seconde Guerre mondiale le 9 mai, et non le 8, en raison du décalage horaire. La reddition de l’Allemagne nazie avait été signée à 23h01 le 8 mai 1945, à Berlin, soit à 1h01 le 9 mai à Moscou. « A la chute de l’URSS, cette victoire sur le nazisme a été sacralisée et remise au goût du jour par le pouvoir central, car il fallait que la Russie se construise sur une histoire ‘positive’, explique Carole Grimaud Potter, enseignante en géopolitique de la Russie. C’est une date plus glorieuse que la chute de l’URSS et une façon de mettre sous le tapis les purges de la période soviétique. »

« La date du 9 mai permet de réunir toutes les générations, les ethnies et les républiques de la jeune Fédération de Russie ».

Carole Grimaud Potter, spécialiste de la Russie

à franceinfo

Le 9 mai est alors une journée de deuil, où les Russes se souviennent des plus de 20 millions de soldats et civils soviétiques morts durant la Seconde Guerre mondiale, le plus lourd tribu du conflit. Des marches des « régiments des immortels » sont organisées, où la population arbore le ruban de Saint-Georges – symbole de la puissance militaire russe – et défile avec des portraits des soldats tombés au combat.

 

Vladimir Poutine participe à un "régiment des immortels", le 9 mai 2017 à Moscou (Russie). (MIKHAIL SVETLOV / GETTY IMAGES EUROPE)

 

Exhiber la puissance de l’armée

Puis avec l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin, la date devient une grande fête patriotique dont le mot d’ordre est : « Nous pouvons le répéter », relate Cécile Vaissié, professeure d’études russes et soviétiques. « L’idée est de dire : ‘On peut vaincre à nouveau le nazisme' », exprime la chercheuse. 

« Il y a une logique de ‘revival’ soviétique agressive, où des drapeaux rouges de l’URSS sont collés sur des tanks, les enfants portent des uniformes des années 1940 en faisant des signes Z et V [symboles de soutien à l’armée russe]. »

Cécile Vaissié, professeure d’études russes et soviétiques

à franceinfo

Traditionnellement, le président russe prononce un discours dans lequel il met en avant « la grandeur de la Russie sur la scène internationale, sa puissance militaire, ses ‘héros de la nation' », reprend Carole Grimaud Potter. Des dirigeants internationaux sont invités. Lors du défilé militaire, les nouveaux équipements de l’armée sont exhibés, comme des chars ou parfois des missiles balistiques intercontinentaux.

 

Un tank arbore un drapeau soviétique lors des préparatifs des commémorations du 9 mai à Moscou (Russie), le 7 mai 2016. (GRIGORIY SISOEV / SPUTNIK / AFP)

 

Pour Moscou, « le 9 mai est l’occasion de montrer la vitalité de l’armée et du complexe industriel de défense », explique Isabelle Facon, directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique. Historiquement, la Russie a davantage misé sur sa puissance militaire pour s’imposer dans le jeu international que dans les secteurs technologique ou économique.

Justifier la guerre en Ukraine

Cette année, Vladimir Poutine pourrait ainsi profiter de cette commémoration pour mettre en perspective la victoire de 1945 et ce qu’il appelle « l’opération militaire spéciale » en Ukraine. Lors de son allocution à la télévision russe le 24 février, il a justifié son invasion de l’Ukraine parce qu’il fallait « démilitariser » et « dénazifier l’Etat ukrainien »Il a aussi qualifié le président ukrainien Volodymyr Zelensky et ses ministres de « clique de toxicomanes et de néonazis » et les a accusés de commettre des « génocides » envers les populations russophones dans le Donbass.

Avec ces références, « Vladimir Poutine cherche à justifier sa guerre, à la présenter comme un combat juste, mais aussi cohérent avec les objectifs de l’opération militaire qu’il a énoncés au début de la guerre », analyse Isabelle Facon.

« En traçant des parallèles entre la Seconde Guerre mondiale et la situation en Ukraine, Vladimir Poutine espère encourager le soutien de la population, encore très marquée par la ‘Grande Guerre patriotique’. »

Isabelle Facon, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes

à franceinfo

Et si Moscou ne communique pas sur ses pertes humaines et économiques en Ukraine, « la population constate que tous ses enfants ne reviennent pas à la maison », poursuit Isabelle Facon. Le 9 mai pourrait donc être l’occasion « d’héroïser ces soldats » et de justifier le coût économique de la guerre.

« Succès sur le terrain et légitimité »

D’ici au 9 mai, quelle victoire pourrait donc annoncer le président russe ? Depuis le 18 avril, la guerre est entrée dans une nouvelle phase avec l’intensification de l’offensive russe dans l’est de l’Ukraine. Depuis, les frappes russes se poursuivent à l’Est et dans le Sud, mais aussi plus à l’Ouest, notamment sur « des nœuds ferroviaires, des routes, pour gêner les renforts ukrainiens », relève Isabelle Facon. Elle estime toutefois que « la progression russe dans le Donbass reste lente » et qu’il est peu probable que la région tombe d’ici le 9 mai.

« Les forces ukrainiennes les plus aguerries sont dans le Donbass et le dispositif militaire russe a montré des signes d’érosion. »

Isabelle Facon, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes

à franceinfo

Dans son point sur la situation au 10 avril, le colonel et historien militaire français Michel Goya estimait que « l’objectif russe semblait être de s’emparer complètement du Donbass avant le 9 mai », mais que Moscou avait aussi peu de chance d’atteindre ce but d’ici là. « On devrait assister à un palier des opérations à cette date, les deux adversaires manquant de capacités offensives pour modifier significativement la ligne de front. »

En revanche, la prise de Marioupol pourrait davantage être présentée comme une victoire à cette occasion. Les dernières forces ukrainiennes résistent toujours à l’usine Azovstal, mais « Marioupol tombera », estime Michel Goya. Cela constituera une « victoire tactique russe, mais avec une telle difficulté qu’elle apparaît déjà aussi comme une victoire symbolique ukrainienne ». 

« Les séparatistes du Donbass avaient cherché en 2014-2015 à s’emparer de Marioupol, qui avait résisté. La chute de la ville aurait donc une forte valeur symbolique », poursuit Isabelle Facon. Cette prise permettrait également à Moscou de consolider son avancée dans la bande côtière le long de la mer d’Azov, qui relie le Donbass à la péninsule de Crimée. Pour la chercheuse, « le 9 mai, Vladimir Poutine ne parlera peut-être pas de victoire, mais de succès sur le terrain et de légitimité ».

Francetv