Sanctions de la Cédéao au Mali: «L’impact n’est pas immédiat. Si ça dure, il y aura des problèmes»

Sanctions de la Cédéao au Mali: «L’impact n’est pas immédiat. Si ça dure, il y aura des problèmes»

10 février 2022 Non Par LA RÉDACTION

Un vendeur de légumes travaille au marché central de Bamako au Mali, portant un masque le 26 mars 2020. (Image d'iIlustration)
Un vendeur de légumes travaille au marché central de Bamako au Mali, portant un masque le 26 mars 2020. (Image d’iIlustration) AFP

Frontières fermées, avoirs gelés… Le 9 janvier, la Cédéao a adopté des sanctions très lourdes contre le Mali. Mais la junte au pouvoir à Bamako s’organise pour faire face et pour continuer notamment à payer ses fonctionnaires civils et militaires. Un mois plus tard, quel est l’impact réel des sanctions de la Cédéao sur l’économie malienne ? L’homme d’affaires guinéen Madani Dia a été le secrétaire exécutif de la Plate-forme de concertation du secteur privé guinéen. Aujourd’hui, il déploie ses activités commerciales entre la Guinée et le Sénégal. En ligne de Dakar, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Quel est l’impact des sanctions décidées par la Cédéao, il y a un mois, sur l’économie malienne ?

Madani Dia : Pour le moment, cela ne se manifeste pas encore trop… La junte a apparemment pris les devants et a sécurisé un certain nombre de choses. Notamment, les opérateurs économiques ont fait des stocks. De l’autre côté, il y a certains revenus miniers qui devaient être versés à la BCEAO et qui ne l’ont pas été… Donc ils ont une petite fenêtre de temps, qui leur permettra de gérer un peu l’attente des retombées qui vont être quand même assez importantes, puisque, justement, avec les sanctions, si cela s’éternise, ils vont avoir du mal à faire face à leurs dépenses, notamment régaliennes.

Cela risque, évidemment, de créer de gros problèmes au niveau de l’inflation, dans la mesure où, les frontières étant fermées, l’acheminement des marchandises va prendre un chemin beaucoup plus long, en passant par la Guinée… Sans compter que toutes les marchandises, qui devaient entrer à travers la Côte d’Ivoire et le Sénégal, n’auront pas accès au Mali. Donc les pertes de revenus ne seront pas simplement pour le Mali, mais le seront aussi pour les pays frontaliers. Cela va avoir, à mon avis, un certain impact sur même la valeur du franc CFA.

Dans quels secteurs économiques y-a-t-il des opérateurs qui ont fait du stock ?

Oh surtout dans l’essentiel ! Donc le riz, le sucre, l’huile… Parce qu’il y a une partie qui est importée. A la demande de la Chambre de commerce de Bamako, il y a eu une réunion avec le ministre malien du Commerce. Ils se sont mis d’accord pour limiter l’augmentation des prix. Par exemple, ils ont fixé à 500 francs le prix du sucre local, à 600 francs le sucre importé… Donc ils essaient de limiter, en fait, l’impact sur les prix pour que les prix ne s’envolent pas.

Et concrètement, la suspension des échanges commerciaux, en dehors des produits de première nécessité, cela impacte en priorité quels opérateurs et quels transitaires ?

Déjà, tous les transporteurs routiers, parce que le commerce transfrontalier est quand même très important entre le Mali et ses voisins. Et pratiquement pour tout ce que le Sénégal et la Côte d’Ivoire vendent au Mali, là, le manque à gagner va être quand même assez important pour les opérateurs de ces deux pays. Pour les Maliens, l’exportation, c’est quand même plus limité que les importations.

Et les exportateurs d’or maliens peuvent-ils être touchés par ces mesures ?

Non, parce qu’ils vont continuer à exporter à travers la Guinée, comme ils le font déjà dès maintenant. Depuis que la Guinée a annulé à son niveau la taxe d’exportation qui était de 30 %, la moitié des exportateurs d’or du Mali passent par la Guinée.

Vous, qui êtes un opérateur guinéen qui travaillez avec beaucoup d’opérateurs maliens, est-ce que ceux-ci vous appellent depuis un mois ?

Oui, parce que, justement, ils ont besoin de redéployer leur logistique, au niveau des transitaires et des consignataires, pour passer des ports de San Pedro et d’Abidjan, notamment, au port de Conakry.

Et ça marche ?

Ah oui ! Vous savez, cela fait un surplus de chiffre d’affaires pour les entreprises guinéennes ! Vous connaissez les liens qu’il y a entre le Mali et la Guinée, donc cela ne changera pas.

Mais la route n’est pas très bonne, je crois, entre Bamako et Conakry…

Pas trop… Et c’est ce qui me fait dire, justement, que cela va avoir un impact sur l’inflation. Parce que, forcément, les prix à l’arrivée vont être plus élevés, parce qu’ils mettront plus de temps pour arriver à destination. Il faut bien que quelqu’un paie le carburant. Donc l’inflation sera au rendez-vous.

Autre mesure décidée par la Cédéao le 9 janvier : le gel des avoirs du Mali à la BCEAO, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest. Quel peut être l’impact de cette mesure ?

A mon avis, l’impact ne sera pas immédiat. Parce que, justement, j’ai l’impression qu’ils avaient un peu prévu le coup et donc ils ont fait la retenue de reversement. Mais ça dure… Là, il va y avoir un problème, parce que, quand même, il faudra faire face aux dépenses, notamment celle des salaires des fonctionnaires… Cela, il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps, parce qu’effectivement, ça risque de créer des perturbations sociales assez importantes.

Donc il peut y avoir, à terme, une crise des liquidités ?

Oui. Elle ne sera pas très profonde, parce qu’encore une fois, les revenus miniers ne vont pas s’arrêter et c’est quand même assez l’essentiel. Donc, d’une certaine façon, ils vont pouvoir temporiser, mais il ne faut pas que cela s’éternise.

rfi