Après la défaite contre la Macédoine du Nord, ce dimanche à Varazdin au tour préliminaire du Mondial (29-20), Kevin Decaux, le sélectionneur français de la Guinée, a enlacé Kiril Lazarov, ancien joueur de légende devenu coach de l’équipe des Balkans. Et ce dernier, parfaitement francophone depuis ses années à Nantes (2017-2022), a même proposé de traduire ses déclarations en anglais lors de la conférence de presse !
Decaux, 40 ans, technicien méconnu dans l’Hexagone, vit une aventure étonnante lors de ce Mondial, le premier dans l’histoire du « Syli national », le surnom de la sélection guinéenne (syli signifie éléphant en soussou, l’une des langues nationales). « C’est un rêve devenu réalité, raconte le Francilien. L’apothéose d’une aventure humaine qui a commencé il y a douze ans avec les juniors. C’est une fierté car on est partis de rien. Il n’y avait même pas d’équipe seniors ni de gymnase, on jouait en extérieur. On a tout construit de A à Z. »
« On est partis de rien. Il n’y avait même pas d’équipe seniors ni de gymnase, on jouait en extérieur. On a tout construit de A à Z »
Cette semaine, sa silhouette massive, crâne rasé, petite barbe et bras tatoué, se dressait devant les bancs du Mondial face à Kiril Lazarov, au Suédois Staffan Olsson (Pays-Bas) et à l’Espagnol Chema Rodriguez (Hongrie), tous d’anciens très grands joueurs. Kevin Decaux, lui, a stoppé sa carrière en régional à 19 ans après une troisième rupture des ligaments croisés des genoux et s’est lancé dans le coaching à tout petit niveau. « J’ai un parcours atypique, je suis parti de pas grand-chose. Je ne viens pas du milieu fédéral. C’est la Guinée, qui a fait ce que je suis aujourd’hui », dit-il avec beaucoup de reconnaissance.
En 2013, il rencontre des dirigeants guinéens lors d’un échange culturel et sportif organisé avec son équipe de Mantes, en N3 féminine. Le courant passe, les Africains lui proposent de collaborer à un programme de développement du handball local. Une expérience que ne pouvait refuser cet éducateur passionné. Pendant des années, il va coordonner toute la filière des équipes nationales, jeunes et seniors. Et sera sélectionneur des femmes (2013-2018) puis des hommes (2019-2022). « Kevin est l’un des pionniers du handball guinéen, souligne Oumar Diallo, dernier rescapé du tout début de l’aventure avec le capitaine Omar Baradji. C’est extraordinaire d’avoir créé un tel dynamisme. »
Peu à peu, son ouvrage lui vaut des sollicitations d’autres Fédérations. Le globe-trotteur coachera en équipe féminine du Maroc (2018-2019 et 2022-2023), en Jamaïque (2019-2020) et en équipe de Tunisie féminine (2023-2024), qu’il mènera à la médaille de bronze au Championnat d’Afrique des nations 2024 (pour sa 10e participation à la CAN), le mois dernier. « Mais je n’ai jamais lâché la Guinée ; même quand j’étais avec d’autres nations, j’étais au courant de tout ce qui se passait », sourit-il.
Après la qualification du Syli National pour ce Mondial (sous la direction du Tunisien Brahim Lagha) grâce à sa 5e place à la CAN 2024, la Guinée revient toquer à sa porte. « Un Mondial avec eux, je ne pouvais pas dire non, avoue-t-il. Et la Tunisie voulait que je vive sur place pour préparer le Championnat du monde féminin, ce qui n’était pas possible pour moi. »
Car ce père de quatre enfants a aussi un autre travail : il est directeur d’un centre socioculturel dans le quartier populaire de Marcouville à Pontoise (Val-d’Oise). « C’est très compliqué à concilier, surtout au niveau de la famille, avoue-t-il. Tout mon temps, tous mes congés et parfois des congés sans solde, je le prends pour le handball. Parfois, quand je rentre, je peux avoir des problèmes, je peux le comprendre ! »
Les joueurs guinéens étaient heureux de le retrouver. « C’est quelqu’un de très calme, posé, réfléchi. Je le connais depuis tout petit car on habite dans la même ville (Cergy-Pontoise). C’est lui qui m’a convaincu de jouer pour la Guinée il y a cinq ans. J’ai bien fait, je suis heureux d’être là à mon premier Mondial », dit le gardien Rubens Pierre, l’un des nombreux binationaux du groupe, né en région parisienne d’une mère guinéenne et d’un père haïtien. Avec ses réflexes de tigre, le joueur de Tremblay (Liqui Moly Starligue, D1) tourne à 31,9 % d’arrêts depuis le début du tournoi.
« Kevin place l’humain avant tout. On ressent vraiment sa fibre d’éducateur : il ne met jamais personne de côté dans le vestiaire »
« Kevin place l’humain avant tout. On ressent vraiment sa fibre d’éducateur : il ne met jamais personne de côté dans le vestiaire, même ceux qui ne sont pas sélectionnés », appuie Théo Lebon, l’ailier droit de Dreux-Vernouillet en N1 (D3), qui a eu la larme à l’oeil en chantant l’hymne dimanche devant sa famille venue de Paris.
La sélection compte cinq joueurs évoluant en Guinée. Un aspect essentiel pour le sélectionneur, qui doit coordonner tout le secteur masculin et développer la pratique dans un pays qui ne compte que 8 000 licenciés contre 600 000 en France. « Le handball est devenu le sport phare car on est les premiers à aller au Mondial. Cela se développe à une vitesse extraordinaire, souligne-t-il. Il nous manque encore une belle infrastructure pour que les joueurs locaux aussi puissent faire de la formation. »
Privés de sept joueurs non qualifiés en raison de problèmes administratifs, les Guinéens se sont également inclinés contre les Pays-Bas (40-23) et la Hongrie (35-18). Logiquement derniers du groupe D, ils vont rejoindre Porec pour disputer la Coupe du Président (matches de classement de la 25e à la 32e place). « On s’est fixé l’objectif de ne pas finir derniers, on va faire en sorte d’aller chercher cette première victoire », lance Rubens Pierre.