Mali: en ciblant un chef religieux local, le Jnim marque une évolution stratégique

Mali: en ciblant un chef religieux local, le Jnim marque une évolution stratégique

15 janvier 2025 Non Par Doura

 

Cela fait trois semaines que le chef religieux malien Thierno Amadou Hady Tall a été enlevé près de Nioro du Sahel, dans le sud du Mali, à la frontière avec la Mauritanie. Le Jnim, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans a non seulement revendiqué son enlèvement, mais également annoncé sa mort, dimanche 12 janvier dernier. Un décès que les proches de Thierno Amadou Hady Tall ne tiennent pas pour acquis. En tout état de cause, cette attaque du Jnim contre un chef religieux malien très respecté et très influent est inédite et témoigne d’une évolution stratégique.

La dernière fois que les jihadistes liés à al-Qaïda se sont attaqués à des cibles religieuses locales, c’était en 2012, lors de la destruction des mausolées de Tombouctou, dont ils considéraient que le culte relevait de l’idolâtrie. Ces destructions avaient profondément choqué et meurtri les Tombouctiens comme tous les Maliens.

Ménager les légitimités locales

Si les jihadistes du Jnim continuent depuis d’imposer par la violence leurs pratiques religieuses dans les zones qu’ils contrôlent – quant à la manière de prier par exemple – les chefs et symboles islamiques locaux n’étaient plus en première ligne de leurs attaques.

« Les groupes terroristes essayaient de ménager les légitimités religieuses et traditionnelles pour ne pas perdre le soutien local des communautés, explique Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute à Dakar et enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. Ils ont besoin de ce soutien parce que pour opérer, il leur faut toujours des couveuses locales. »

Évolution stratégique

L’enlèvement – et le vraisemblable décès – du khalife soufi Thierno Amadou Hady Tall marque donc une rupture, ou pour le moins une évolution stratégique. Dans ses messages de revendication, le Jnim affirme avoir voulu le juger pour sa supposée proximité avec les autorités maliennes de transition et avec l’armée.

Le chef religieux de Nioro du Sahel avait récemment appelé les jeunes recrues des jihadistes à abandonner les armes. Blessé par balles lors de son enlèvement, Thierno Amadou Hady Tall serait mort en cours de route, sans passer devant le « tribunal » du Jnim, mais le message adressé par les jihadistes reste le même.

« S’attaquer à ceux qui découragent le recrutement jihadiste »

« Le message envoyé par le Jnim, analyse Bakary Sambe, c’est d’abord de s’attaquer à ceux qui défendent un islam pacifiste, ceux qui découragent le recrutement jihadiste, ceux qui construisent des contre-narratifs par rapport à l’idéologie que le Jnim défend. C’est aussi assurément un message politique, poursuit le chercheur, pour dire aux autorités (maliennes de transition, Ndlr) : « la lutte acharnée que nous menons à votre encontre sera aussi menée contre tous ceux qui sont proches de vous ». Et cela, à un moment où le régime de Bamako semble avoir un peu de peine à faire reculer les groupes jihadistes ».

L’annonce du Jnim sur le décès de Thierno Amadou Hady Tall est jugée crédible par de nombreuses sources, y compris sécuritaires maliennes. Cependant, en l’absence d’éléments plus concrets, ni sa famille ni le Haut conseil islamique du Mali ne considèrent à ce jour la mort de Thierno Amadou Hady Tall comme confirmée.

Rfi