Les trois frères d’Halimatou – Saliou, Souleymane et Mamoudou – ont pris la mer il y a trois mois depuis Bargny, au Sénégal, dans le but de rejoindre les Canaries. Depuis, la jeune femme et sa famille reste sans nouvelles.
« Le 5 mai dernier, mon grand frère Saliou m’a appelée. Je lui ai demandé où il était, il n’a pas voulu me le dire. J’ai trouvé ça bizarre. Trois jours plus tard, toujours aucun signe de lui. C’est là que je me suis vraiment inquiétée, et qu’on m’a appris la nouvelle : Saliou était monté dans une pirogue à Bargny, le soir-même de notre échange, avec mes deux autres frères Souleymane et Mamoudou.
Depuis deux ans, Saliou disait régulièrement qu’il voulait partir et aller en Europe. Il en parlait à ma mère. À chaque fois, elle lui répondait de ne pas le faire. Elle lui disait que s’il avait des problèmes d’argent, on pouvait l’aider, nous la famille. Elle a même proposé qu’on ouvre une boutique ensemble. Saliou n’a pas voulu.
Malgré une croissance économique au beau fixe, le Sénégal peine à atténuer la pauvreté et à réduire les inégalités. Poussés par le manque de perspectives, des milliers de jeunes tentent de gagner l’Europe. « L’Espagne… On veut tous y aller. Si une pirogue part, je saute tout de suite dedans », avait confié à l’AFP en 2023 Abdou, un Sénégalais d’une vingtaine d’années.
« Financièrement c’était dur »
Saliou cultivait des arachides dans notre village de Saré Demba Mary, et il les vendait. Le reste de ses cultures, le maïs par exemple, il le gardait pour sa famille. Il a une femme et trois enfants.
Mes trois frères étaient agriculteurs, et financièrement c’était dur. Avec les enfants, la maison … Mais comme ils n’avaient pas beaucoup de moyens, on s’est toujours dit qu’ils ne pourraient pas payer la traversée. J’ai appris peu après leur disparition que Saliou avait pu emprunter 350 000 francs CFA [535 euros environ] à un ami, pour prendre la mer. Malgré cela, aucun des trois ne m’a jamais dit qu’ils monteraient dans une pirogue.
Nous, on ne leur aurait jamais donné cet argent pour traverser l’océan, et ils le savaient. On sait que ce n’est pas normal de prendre une pirogue depuis le Sénégal pour aller jusqu’aux Canaries. Et partir en Europe ne change pas votre vie. Beaucoup de Sénégalais ont pris cette route, et leur situation là-bas n’est pas très bonne. Le quotidien reste difficile.
Depuis le début de l’année, près de 22 500 migrants ont débarqué aux Canaries après une traversée de l’Atlantique. Et plus de 5 000 ont péri au cours des cinq premiers mois de 2024 en tentant de rallier les Canaries, estime l’ONG espagnole Caminando Fronteras.
« J’ai cru les reconnaître sur une photo »
Il y a un mois, j’ai eu de l’espoir. J’ai cru reconnaître deux de mes frères sur une photo d’agence de presse publiée sur InfoMigrants. La légende disait que ces personnes avait pris la mer avec 170 passagers, et qu’ils étaient arrivés à Grande Canarie le 13 mai. Ça collait avec le départ de mes frères, même si physiquement, ce n’était pas très clair.
J’ai montré la photo à toute la famille, tout le monde m’a dit : « c’est eux ». Mais je n’ai toujours pas de nouvelles. Peut-être qu’ils sont arrivés en Espagne, peut-être pas. Qui sait ?