Rapport de l’ONU sur les droits de l’homme en Guinée( rapport triministeriel)
26 août 2024I. CONTEXTES POLITIQUE, SÉCURITAIRE ET SOCIO-ÉCONOMIQUE
Contexte politique
-Au niveau national
À la suite de la dissolution de l’ancien gouver- nement du Premier ministre Bernard Gomou le 19 février 2024, le Président de la transition a nommé le 27 février 2024, M. Amadou Oury Bah nouveau Premier ministre et chef du gouvernement de la transition. Le 13 mars, le Président de la transition a nommé les membres du nouveau gouvernement composé de 29 ministres dont 15 nouveaux membres et 6 femmes (soit un taux de représentation de femmes de 20%), et 2 secrétaires généraux.
Le 25 mars 2024, le nouveau Premier ministre a eu une rencontre de concertation avec 34 repré- sentants des partis et coalitions de partis politiques au cours de laquelle la situation sociopolitique a été évoquée, avec un point majeur sur le retour à l’ordre constitutionnel. L’ancien parti au pouvoir, le RPG ARC-EN-CIEL, a décliné l’invitation en exigeant comme préalable, la libération des anciens dignitaires détenus pour des faits de détournement de fonds et d’enrichissement illicite, et dont le procès se tient depuis plus d’un an à la Cour de Répression des Infractions Eco- nomiques et Financières (CRIEF). Lors de cette rencontre, le Premier ministre a souligné que « le principe de réalité nous oblige de savoir que les consultations électorales ne pourront pas se tenir effectivement au cours de l’année 2024 ».
Dans son intervention, il a précisé que « c’est
une situation de fait, et pas une volonté politique de retarder le retour à l’ordre constitutionnel ». Il a confirmé que l’année 2024 se limiterait à l’élaboration du fichier électoral et l’organisation d’un référendum constitutionnel. Les représentants des partis et coalitions politiques présents,
y compris les représentants du principal parti de l’opposition, Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), ont salué cette rencontre qui, selon leurs propos, traduit la volonté du Gouvernement <<à remobiliser les acteurs politiques du pays autour d’un idéal pour le retour à l’ordre constitutionnel, à travers un système de gouver- nance inclusive».
Le 29 mars, le Président de la transition a dissous les 341 conseils communaux, alors que ses membres étaient élus, et les a remplacés par des « délégations spéciales » dont les membres sont nommés par les administrations territoriales sous l’autorité des militaires. Cette décision est présentée comme temporaire en attendant des nou- velles élections et les autorités de la transition la justifient par le fait que les mandats des conseils communaux ont expiré. Ces nouvelles structures sont notamment chargées de l’administration des entités communales. Elles seront impliquées dans l’organisation des élections dans leurs zones d’autorité respectives. Cette démarche n’a pas été appréciée par certains acteurs, notamment les membres de l’opposition politique et de la société civile. Ceux-ci ont déjà fait part de leurs préoccupations concernant cette procédure. Deux jours après le décret, les forces vives de la Nation incluant les partis politiques ont décrié cette décision qui pour elles est contraire à la loi. Elle est vue par certains acteurs comme une volonté des autorités militaires d’avoir une main mise sur les structures locales qui jouent un rôle important dans les élections, avec le risque d’en influencer les résultats.
Dans le cadre des assises nationales initiées par le pouvoir actuel en vue d’avoir des discussions avec les autres acteurs politiques et faciliter la cohésion sociale et la réconciliation nationale, trois facilitatrices assignées pour coordonner cette action ont été déchargées des tâches
Amadou Oury Bah , leader (UDRG), est aussi un militant des droits de l’homme et membre fondateur de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), il a été l’une des personnes-ressources qui ont travaillé à l’élaboration de la stratégie de réconciliation sur laquelle le HCDH et d’autres partenaires travaillent. L’homme de 68 ans est l’un des rares opposants à être moins critique à l’égard de la junte au pouvoir.
quotidiennes, le 8 janvier 2024, lors de la 8ème session du comité national permanent de suivi de la mise en œuvre de la résolution du cadre de dialogue inclusif inter-guinéen. Bien plus, il a été décidé que le comité de suivi peut désormais fonctionner de manière autonome, avec comme seul appui le ministère de l’Administration terri- toriale et de la décentralisation. Ces facilitatrices avaient conduit les travaux de ces assises depuis 2022.
-Au niveau international
Le 25 février 2024, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a levé les sanctions financières contre la Guinée qui consistaient notamment en l’interdiction de transactions financières avec ses institutions et Etats membres. Ces sanctions avaient été adop tées par les Chefs d’Etats membres de la CE- DEAO, alors réunis à New York le 23 septembre 2022, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Contexte sécuritaire
Le HCDH note une légère tendance à la baisse en matière de criminalité avec 113 incidents enregistrés contre 122 le trimestre précédent. UNDSS2 a rapporté 274 incidents dont 113 à caractère criminel (représentant une très légère baisse par rapport aux 122 enregistrés le tri- mestre précédent, dont 93 à caractère naturel (éboulements des terres et inondations). Un nombre élevé de marches de protestation et ma- nifestations publiques (68) a été répertorié sur l’ensemble du territoire.
Contexte socio-économique
Le 26 février 2024, les syndicalistes des secteurs public et privé ont enclenché un mouvement de grève pour une durée illimitée après l’échec des négociations avec le gouvernement. Dans leur préavis de grève transmis aux autorités le 22
2 Département de la Sûreté et de la sécurité des Nations Unies 3 Voir le paragraphe 3, the ill de la page 4
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son hôtel à Conakry et expulsé le même jour. Les chefs d’inculpation à son encontre sont restés inconnus à ce jour. Le journaliste enquêtait sur la Société nationale de pétrole (SONAP) et sur les actifs nouvellement acquis par le Directeur général de cette société. Selon les informations recueillies par le HCDH, le journaliste expulsé menait également des enquêtes sur l’utilisation des taxes pétrolières par la SONAP et les causes de l’explosion du principal dépôt pétrolier de Guinée, survenue dans la nuit du 17 au 18 décembre 2023.
Dans la nuit du 19 au 20 janvier, des individus non identifiés ont fait irruption dans la cour de la résidence de M. Facely Konaté, journaliste d’in- vestigation et correspondant de plusieurs médias locaux à Nzérékoré, et ont tenté sans succès d’enfoncer la porte de sa résidence. M. Konaté avait diffusé le reportage de son confrère, le journaliste français Thomas Dietrich, sur une affaire de corruption présumée impliquant le Directeur général de la Société nationale de pétrole, un proche collaborateur du président de la Transition.
Sanctions contre le journaliste Abdoul Latif
Diallo
Le 17 janvier, la Haute Autorité de la Com- munication (HAC) a décidé de suspendre le Journaliste Abdoul Latif Diallo, responsable du site d’information « Dépêche Guinée », pour 6 mois et son site d’information pour 9 mois. Cette sanction est survenue à la suite des plaintes por- tées contre lui par le Gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) et l’ancien ministre de l’Economie et des Finances pour diffamation. Dans cette décision, la HAC a également qualifié ce journaliste de « récidiviste en matière de diffamation par voie de presse » à cause des multiples convocations et plaintes por- tées contre lui, et suspensions dont la dernière remontait au mois de septembre 2023.
Blocage du site Internet www.mosaique-
guinee.com
Le 3 janvier, le site d’information privé « Mo- saïque Guinée » est devenu inaccessible sans qu’aucune décision officielle n’ait été notifiée. Selon le responsable de ce site, les lecteurs lui auraient fait remarquer qu’ils ne pouvaient accéder au site qu’à travers l’utilisation d’un VPN (Virtual Private Network »). Interrogé par les médias, le Porte-parole du Gouvernement et ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique a laissé entendre que le responsable du site d’information était au courant de la cause des restrictions d’accès, à savoir son refus de retirer un article portant sur une communication interne à l’armée. Mais cette allégation a été démentie par le responsable du site. Dans un communiqué daté du 11 janvier, le responsable de ce site a relevé que cette restric- tion d’accès à son site n’a fait l’objet d’aucune notification de la part des autorités compétentes. Cette situation a perduré jusqu’à la fin du m de mars.
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Brouillage de fréquence de radio et restric-
tions d’accès aux réseaux sociaux
Depuis plus de cinq mois, des fréquences de certaines radios privées ont été brouillées et trois télévisions privées ont été suspendues des bouquets Canal Plus et Star Time. Des actions de plaidoyer ont été menées auprès des auto- rités nationales, y compris auprès du Premier ministre, en vue d’une levée des sanctions col- lectives et de procéder plutôt à des sanctions ciblées à l’encontre des émissions indexées et journalistes fautifs, conformément aux procé- dures légales en vigueur en Guinée.
IV. PROCÈS SUR LES ÉVÈNEMENTS DU 28 SEPTEMBRE 2009
Audiences et garanties judiciaires
Au total, 147 audiences ont déjà eu lieu dans le cadre du procès sur les événements du 28 septembre 2009 depuis son ouverture le 28 septembre 2022. Le processus arrive au stade
La situation des droits de l’homme en République de Guinée Rapport trimestriel janvier à mars 2024
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En outre, d’importants dégâts matériels ont été constatés. Une camionnette de la police a été incendiée, les parebrises de plusieurs véhicules privés ont été brisés et les objets de certains pas sagers ont été emportés par des manifestants. Le commissariat central de police et le siège de la compagnie d’électricité (EDG) ont également été visés. Ces incidents se sont produits au cours des manifestations alors que les forces de sé curité et de défense tentaient de rétablir l’ordre en tirant à balles réelles et en lançant des gaz lacrymogènes. Il a été reporté que les manifes- tants lançaient des projectiles sur les forces de défense et sécurité. La gendarmerie et la police ont reçu le soutien de l’armée pour disperser les manifestants. Les populations manifestaient pour exprimer leur mécontentement à la suite de la coupure d’électricité pendant deux jours consé- cutifs. Sur recommandation du Premier ministre, le procureur de Kindia a ouvert des enquêtes.
Arrestations arbitraires, détention illégale, suspension et menaces contre les journa- listes
Le 18 janvier, au moins 10 journalistes, tous des hommes, dont un journaliste représentant syndical, ont été arrêtés par les forces de sécu- rité guinéennes. Neuf d’entre eux l’ont été par des gendarmes à la Maison de la presse sise au quartier Minière et dans les environs, dans la commune de Dixinn à Conakry, et ont été conduits à la gendarmerie de la Commune de Dixinn. Ces journalistes se préparaient à assurer la couverture médiatique de la manifestation du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG) visant à exiger le rétablissement de l’accès à l’internet et la fin du brouillage des ondes de médias audiovisuels privés et ceux retirés des bouquets Canal+ et Star Time sur ordre de la Haute Autorité de la Communication (HAC). La veille de ces arrestations, le ministre de l’Administration du territoire, après avoir rap- pelé l’interdiction de manifestation en cours dans le pays depuis le 13 mai 2022, a réitéré les menaces d’arrestations et de poursuites pénales
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son hôtel à Conakry et expulsé le même jour. Les chefs d’inculpation à son encontre sont restés inconnus à ce jour. Le journaliste enquêtait sur la Société nationale de pétrole (SONAP) et sur les actifs nouvellement acquis par le Directeur général de cette société. Selon les informations recueillies par le HCDH, le journaliste expulsé menait également des enquêtes sur l’utilisation des taxes pétrolières par la SONAP et les causes de l’explosion du principal dépôt pétrolier de Guinée, survenue dans la nuit du 17 au 18 décembre 2023.
Dans la nuit du 19 au 20 janvier, des individus non identifiés ont fait irruption dans la cour de la résidence de M. Facely Konaté, journaliste d’in- vestigation et correspondant de plusieurs médias locaux à Nzérékoré, et ont tenté sans succès d’enfoncer la porte de sa résidence. M. Konaté avait diffusé le reportage de son confrère, le journaliste français Thomas Dietrich, sur une affaire de corruption présumée impliquant le Directeur général de la Société nationale de pétrole, un proche collaborateur du président de la Transition.
Sanctions contre le journaliste Abdoul Latif
Diallo
Le 17 janvier, la Haute Autorité de la Com- munication (HAC) a décidé de suspendre le Journaliste Abdoul Latif Diallo, responsable du site d’information « Dépêche Guinée », pour 6 mois et son site d’information pour 9 mois. Cette sanction est survenue à la suite des plaintes por- tées contre lui par le Gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) et l’ancien ministre de l’Economie et des Finances pour diffamation. Dans cette décision, la HAC a également qualifié ce journaliste de « récidiviste en matière de diffamation par voie de presse » à cause des multiples convocations et plaintes por- tées contre lui, et suspensions dont la dernière remontait au mois de septembre 2023.
Blocage du site Internet www.mosaique-
guinee.com
Le 3 janvier, le site d’information privé « Mo- saïque Guinée » est devenu inaccessible sans qu’aucune décision officielle n’ait été notifiée. Selon le responsable de ce site, les lecteurs lui auraient fait remarquer qu’ils ne pouvaient accéder au site qu’à travers l’utilisation d’un VPN (Virtual Private Network »). Interrogé par les médias, le Porte-parole du Gouvernement et ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique a laissé entendre que le responsable du site d’information était au courant de la cause des restrictions d’accès, à savoir son refus de retirer un article portant sur une communication interne à l’armée. Mais cette allégation a été démentie par le responsable du site. Dans un communiqué daté du 11 janvier, le responsable de ce site a relevé que cette restric- tion d’accès à son site n’a fait l’objet d’aucune notification de la part des autorités compétentes. Cette situation a perduré jusqu’à la fin du m de mars.
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Brouillage de fréquence de radio et restric-
tions d’accès aux réseaux sociaux
Depuis plus de cinq mois, des fréquences de certaines radios privées ont été brouillées et trois télévisions privées ont été suspendues des bouquets Canal Plus et Star Time. Des actions de plaidoyer ont été menées auprès des auto- rités nationales, y compris auprès du Premier ministre, en vue d’une levée des sanctions col- lectives et de procéder plutôt à des sanctions ciblées à l’encontre des émissions indexées et journalistes fautifs, conformément aux procé- dures légales en vigueur en Guinée.
IV. PROCÈS SUR LES ÉVÈNEMENTS DU 28 SEPTEMBRE 2009
Audiences et garanties judiciaires
Au total, 147 audiences ont déjà eu lieu dans le cadre du procès sur les événements du 28 septembre 2009 depuis son ouverture le 28 septembre 2022. Le processus arrive au stade
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des plaidoiries, qui intervient après la phase de la présentation des pièces à conviction audio et vidéo. Cette dernière phase intervient elle-même après la comparution des témoins du ministère public et des parties civiles, ainsi que ceux de la défense.
Lors de cette phase des confrontations des vic- times et témoins de la partie civile, il était initia- lement prévu que 15 témoins et victimes compa- raissent devant la Cour. Finalement, seulement quatre femmes ont comparu. Deux d’entre elles ont apporté leurs témoignages en audience pu- blique en tant que témoins, et deux autres, toutes victimes de violence sexuelle, ont témoigné à huis clos, conformément à l’article 397 du code de procédure pénale.
Des nombreuses victimes et témoins sont reve- nus sur leurs décisions initiales de comparaitre devant la Cour, estimant avoir apporté une dé- position suffisante lors de la phase d’instruction. D’autres n’ont pas souhaité être confrontés avec ceux qu’ils qualifient d’être leurs bourreaux, craignant notamment pour leur sécurité et leur protection. Cette situation indique, entre autres, que les mesures de protection envers les témoins et victimes, ne leur offrent pas une garantie suffi- sante pour une pleine participation libre dans les diverses étapes du procès en cours.
Protection des victimes et témoins et prise en charge psychologique de victimes
En plus de la loi de septembre 2022 sur la protection des victimes, des témoins et autres personnes à risque, le ministère de la Justice et des droits de l’homme a commencé le processus d’adoption des textes d’application pour renfor- cer le dispositif de protection des témoins et des victimes. Ces textes d’application vont prévoir des mesures de protection ainsi que la prise en charge psychosociale des victimes.
Bien que la loi sur la protection des victimes et des témoins ait été adoptée par le Conseil National de Transition (organe législatif de la transition), elle n’a toujours pas été promulguée,
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entravant ainsi son application dans le processus de protection effective des victimes. Cette situa- tion crée de l’incertitude quant aux droits et aux recours disponibles pour les victimes de violence et de menaces dans le cadre d’un procès juste et équitable.
Demande de requalification Après la phase de la présentation des pièces
audio et vidéo, le ministère public a requis début mars la requalification des chefs d’accusation (meurtre, viol, pillage, et autres) en crimes contre l’humanité. Le tribunal a, sur demande de la défense, accordé à la défense un délai de deux semaines pour présenter ses observations.
La défense s’y est opposée formellement tant sur la forme que le fond, en justifiant que la demande en requalification était irrecevable. Le tribunal a décidé de joindre l’incident de la de- mande de requalification au fond, et statuera au moment où il rendra son jugement sur le fond de l’affaire. La décision a fait l’objet d’un appel de la part des avocats de la défense. Cet appel a été rejeté par la Cour d’Appel le 27 mars 2024, qui par conséquent, a ordonné la poursuite der débats sur le fond.
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Quoique conforme au droit guinéen, notamn au code de procédure pénale, il n’en demeure pas moins qu’au regard des standards et de la pratique des juridictions internationales en la matière, la demande en requalification faite par le ministère public en cours de procès et la décision de joindre cet incident au fond de la décision, ne va pas sans poser des risques sur la bonne mise en œuvre des règles du procès équi- table dans ce procès. Ces risques sont notam- ment relatifs au respect des droits de la défense et plus précisément au droit des accusés d’être informés des charges retenues contre eux, qui est le ciment du principe du contradictoire car en effet, dans l’hypothèse où le tribunal retien- drait la requalification des faits en crimes contre l’humanité, les accusés n’auront pas l’opportuni-
La situation des droits de l’homme en République de Guinée Rapport trimestriel janvier à mars 2024
contre les potentiels manifestants.
Le 25 mars 2024, la Haute Autorité de la Com- munication, organe chargé de la régulation des médias, a suspendu pour trois mois le journaliste Habib Marouane Camara du groupe Djoma Média pour des propos jugés diffamatoires à l’encontre du ministre des Transports et Porte-pa- role du Gouvernement. Les propos attribués au journaliste en question à l’encontre du Ministre Ousmane Gaoual Diallo n’entrent pas dans la définition de la diffamation selon le pacte in- ternational relatif aux droits civils et politiques ou celle de la Loi sur la Liberté de la Presse en Guinée (Article 108). De même, la HAC a lancé un avertissement à l’égard des animateurs de l’émission « On refait le monde » durant laque » les propos incriminés auraient été tenus.
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Détention illégale et condamnation d’un re- présentant syndical
Le 19 janvier 2024, le Secrétaire Général du
syndicat des professionnels de la presse (SPPG), M. Sékou Jamal Pendessa, a été arrêté par des éléments de la gendarmerie sans convocation ni mandat, et placé en garde à vue pendant 48 heures. Le 22 janvier, il a été placé en déten- tion provisoire à la prison centrale de Conakry pour rassemblement illégal sur la voie publique, trouble à l’ordre public et menace à la sécurité publique. L’arrestation et l’incarcération de M. Pendessa ont été motivées par son appel à mani- fester pacifiquement à des carrefours principaux de Conakry le 18 janvier 2024. Après quelques jours de procès, il a été condamné le 24 février à 6 mois de prison assortie de 3 mois de sursis. Mais ses avocats ont saisi la Cour d’appel qui a revu, le 28 février 2024, la peine à 3 mois dont un mois et six jours fermes correspondant au temps qu’il avait passé en détention provisoire.
Expulsion d’un journaliste étranger, et me- naces à l’encontre d’un’ journaliste guinéen
Le 14 janvier, M. Thomas Dietrich, journaliste français, a été arrêté par la police judiciaire à
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de revendications, à savoir la baisse des prix des denrées alimentaires, l’application intégrale du protocole d’accord tripartite signé le 15 no- vembre 2023, la levée des restrictions d’accès à l’internet et la fin du brouillage des ondes des médias audiovisuels privés.
Des manifestations ont eu lieu à Conakry à par- tir du 26 février. A cet égard, les résidents de la commune de Ratoma à Conakry ont barricadé la route principale, renversé des poubelles, brûlé des pneus et lancé des projectiles sur les véhi- cules des usagers de la route. En réponse, les autorités ont déployé des éléments des forces de sécurité qui ont fait usage de leurs armes pour rétablir l’ordre. Des coups de feu ont été rap- portés dans de nombreux quartiers. Des affron- tements ont éclaté entre les manifestants et les forces de sécurité au cours desquels un manifes- tant de 18 ans a été tué par balle.
II. PROCESSUS DE RÉCONCILIATION NATIONALE ET JUSTICE TRANSITION- NELLE
Suivi des recommandations des assises na- tionales sur la réconciliation en Guinée Le nouveau Premier ministre de la Guinée a fait de cette question son cheval de bataille. Un pro- jet de document sur la stratégie de réconciliation nationale reposant essentiellement sur les recom- mandations des assises a été élaboré. Le Bureau du HCDH en Guinée a exhorté le gouvernement guinéen à valider le document de stratégie nationale, afin de lui permettre de disposer d’un véritable tableau de bord portant sur l’ensemble de ses actions en matière de lutte contre l’impu- nité, de la justice transitionnelle et de réconcilia- tion nationale. Les activités du HCDH dans ce domaine incluent notamment la sensibilisation/ mobilisation des communautés à la base autour du processus de réconciliation nationale, le renforcement du cadre légal et la mise en place et l’opérationnalisation de l’organe de vérité,
réparation et réconciliation nationale.
III. ESPACE CIVIQUE ET DÉMOCRATIQUE
Personnes mortes et blessées lors d’opéra- tions de maintien de l’ordre dans le cadre de manifestations publiques
L’interdiction d’organiser des manifestations à caractère politique est toujours en vigueur depuis le 13 mai 2022. Toutefois, au cours de la pé- riode en revue, la plupart des 68 manifestations publiques ont eu lieu en Guinée Maritime où 42 incidents ont été enregistrés, suivie de la Haute Guinée avec 17 incidents, de la moyenne Gui- née avec ó incidents, et de la Guinée Forestière avec 5 incidents. L’ensemble de ces manifesta- tions portaient sur les revendications des DESC, notamment les difficultés d’accès à l’électricité pour plusieurs membres de la population. Dans certains cas, les manifestations étaient liées à la grève déclenchée par 13 syndicats dans le contexte de l’arrestation du Secrétaire général du syndicat des professionnels des médias. La répression de ces manifestations a occasionné la mort de 14 individus, tous des hommes, du fait de l’usage disproportionné de la force par les forces de sécurité. Les rapports font également état de 16 blessés, dont 5 membres des corps de sécurité guinéenne, et près de 33 arresta- tions, dont 10 journalistes.
Les 11 et 12 mars à Kindia (à 130 km de Co- nakry), les forces de défense et de sécurité ont fait un usage disproportionné de la force pour disperser des manifestations publiques contre les coupures de l’électricité. Le bilan de la ré- pression était de 2 personnes tuées par balles, 12 blessés et de nombreuses autres personnes arrêtées par les forces de sécurité. Selon les in- formations préliminaires recueillies sur le terrain, les deux victimes tuées par balle étaient des garçons mineurs. Sept des blessés civils l’au- raient également été par balle, tandis que cinq membres des forces de sécurité ont été blessés par des jets projectiles par les manifestants.
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La situation des droits de l’homme en République de Guinée Rapport trimestriel janvier à mars 2024
février, les syndicalistes ont énuméré une liste de revendications incluant la levée des restrictions d’accès l’internet, l’arrêt du brouillage des ondes de médias audiovisuels privés, le respect des protocoles d’accord signés en faveur des ensei- gnants contractuels de l’éducation, la baisse des prix des denrées alimentaires, et la libération du Secrétaire général du syndicat des profession- nels de la presse (SPPG), arrêté le 19 janvier 2024. Les chefs d’accusation qui reposaient sur lui incluaient notamment la participation à une réunion publique non autorisée, la participation délictueuse à un attroupement non armé, l’at- teinte et la menace de porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique, à l’intégrité et à la dignité des individus par le biais d’un système informatique et de complicité. Ce dernier avait appelé à la manifestation pour la levée de la restriction d’accès à internet, la fin du brouillage des ondes de certaines radios privées depuis le 24 novembre 2023, et la réintégration de certaines télévisions privées dans le bouquet Canal+ dont la demande de retrait avait été formulée le 6 décembre 2023.
Cette grève a été suivie sur l’ensemble du ter- ritoire guinéen. Les administrations publiques, les banques, les compagnies d’assurance, les écoles et les universités sont restées fermées pendant une période de trois jours, soit du 26 au 28 février. Les magasins et les boutiques sont également restés fermés pour la plupart pendant cette période. Les transports urbains et interur- bains ont également été fortement paralysés.
Mais dès la libération du secrétaire Général du SPPG, les syndicalistes ont annoncé la sus- pension de la grève, démontrant que l’élément déclencheur était son arrestation³. Dans le même ordre d’idées, ils ont exprimé leur < disponibilité >> à reprendre immédiatement les négociations avec le gouvernement autour des quatre points
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des plaidoiries, qui intervient après la phase de la présentation des pièces à conviction audio et vidéo. Cette dernière phase intervient elle-même après la comparution des témoins du ministère public et des parties civiles, ainsi que ceux de la défense.
Lors de cette phase des confrontations des vic- times et témoins de la partie civile, il était initia- lement prévu que 15 témoins et victimes compa- raissent devant la Cour. Finalement, seulement quatre femmes ont comparu. Deux d’entre elles ont apporté leurs témoignages en audience pu- blique en tant que témoins, et deux autres, toutes victimes de violence sexuelle, ont témoigné à huis clos, conformément à l’article 397 du code de procédure pénale.
Des nombreuses victimes et témoins sont reve- nus sur leurs décisions initiales de comparaitre devant la Cour, estimant avoir apporté une dé- position suffisante lors de la phase d’instruction. D’autres n’ont pas souhaité être confrontés avec ceux qu’ils qualifient d’être leurs bourreaux, craignant notamment pour leur sécurité et leur protection. Cette situation indique, entre autres, que les mesures de protection envers les témoins et victimes, ne leur offrent pas une garantie suffi- sante pour une pleine participation libre dans les diverses étapes du procès en cours.
Protection des victimes et témoins et prise en charge psychologique de victimes
En plus de la loi de septembre 2022 sur la protection des victimes, des témoins et autres personnes à risque, le ministère de la Justice et des droits de l’homme a commencé le processus d’adoption des textes d’application pour renfor- cer le dispositif de protection des témoins et des victimes. Ces textes d’application vont prévoir des mesures de protection ainsi que la prise en charge psychosociale des victimes.
Bien que la loi sur la protection des victimes et des témoins ait été adoptée par le Conseil National de Transition (organe législatif de la transition), elle n’a toujours pas été promulguée,
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entravant ainsi son application dans le processus de protection effective des victimes. Cette situa- tion crée de l’incertitude quant aux droits et aux recours disponibles pour les victimes de violence et de menaces dans le cadre d’un procès juste et équitable.
Demande de requalification Après la phase de la présentation des pièces
audio et vidéo, le ministère public a requis début mars la requalification des chefs d’accusation (meurtre, viol, pillage, et autres) en crimes contre l’humanité. Le tribunal a, sur demande de la défense, accordé à la défense un délai de deux semaines pour présenter ses observations.
La défense s’y est opposée formellement tant sur la forme que le fond, en justifiant que la demande en requalification était irrecevable. Le tribunal a décidé de joindre l’incident de la de- mande de requalification au fond, et statuera au moment où il rendra son jugement sur le fond de l’affaire. La décision a fait l’objet d’un appel de la part des avocats de la défense. Cet appel a été rejeté par la Cour d’Appel le 27 mars 2024, qui par conséquent, a ordonné la poursuite der débats sur le fond.
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Quoique conforme au droit guinéen, notamn au code de procédure pénale, il n’en demeure pas moins qu’au regard des standards et de la pratique des juridictions internationales en la matière, la demande en requalification faite par le ministère public en cours de procès et la décision de joindre cet incident au fond de la décision, ne va pas sans poser des risques sur la bonne mise en œuvre des règles du procès équi- table dans ce procès. Ces risques sont notam- ment relatifs au respect des droits de la défense et plus précisément au droit des accusés d’être informés des charges retenues contre eux, qui est le ciment du principe du contradictoire car en effet, dans l’hypothèse où le tribunal retien- drait la requalification des faits en crimes contre l’humanité, les accusés n’auront pas l’opportuni-
té d’en discuter le bien-fondé devant le tribunal et de préparer leur défense en fonction de ces charges.
Toutefois, à ce stade, le risque n’est pas encore clairement avéré tant que la décision sur le fond n’est pas encore rendue en retenant la requalifi- cation en crimes contre l’humanité comme base du jugement.
V. INDUSTRIE EXTRACTIVE ET DROITS DE L’HOMME
Pollution des cours d’eau et déversement de la boue dans les champs
Il a été rapporté au Bureau du HCDH que les travaux d’extraction du minerai de fer ou les opérations de l’entreprise CR 18, sous-traitante de Rio Tinto, ont affecté l’écoulement normal du lit de la rivière de « KOYA » occasionnant ainsi la pollution des cours d’eau dans le village de Koyafe, commune rurale de Konssakoro, le district de Djarakendou, et la préfecture de Kérované. Face à cette situation, des mesures urgentes de mitigation auraient été prises par les équipes de construction de SimFer, en colla- boration avec le département Communauté et Performances Sociales (CPS), afin de libérer le passage pour la bonne circulation de l’eau. L’eau de ruissellement en provenance ance du chan- tier du tunnel aurait provoqué la pollution de l’eau du fleuve Kagbelen, dans le secteur de Bombiah, district de Sekou-Soriah. Au regard des impacts documentés, la pollution des cours d’eau représenterait 20% à Kérouané (Dama- ro, Kounsankoro et la commune urbaine). Cette pollution des cours d’eau affecte la population locale qui ne peut plus utiliser l’eau des rivières affectées qui servait à l’usage domestique.
La perte de moyens de subsistance par les communautés locales
Des quantités de boue auraient été déversées dans les champs à Manferinyah dans la préfec
ture de Forecariah, ainsi que dans un champ agricole de la sous-préfecture de Oure-Kaba, dans le district de Madina, région administrative de Mamou. Ces boues affecteraient les travaux agricoles et la productivité des sols dans la région. Selon les rapports des comités locaux de suivi des impacts du projet Simandou mis en place par l’ONG Action Mines, au moins 61% des communautés locales subissent la perte de moyens de subsistance du fait des activités de l’industrie extractive. La destruction de l’environ- nement (pollution de l’air et dégradation du sol) constitue une des préoccupations majeures des communautés locales qui sont contraintes de changer leur cadre de vie. À Forécariah (Mafe- rinyah et Kaback), au moins 70% des impacts documentés concernent la perte de moyens de subsistance tandis qu’à Mamou, la perte des moyens de subsistance représente au moins 57% d’impacts documentés par les comités locaux suivi.
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Utilisation de dynamites et les effets sur 10 résidences des riverain.e.s
Dans deux préfectures de la région administra- tive de Kindia, dans le district de Sekhou Soriah, et dans la préfecture de Forécariah, il est rap- porté que des dynamites auraient été utilisées avec la société Winning dans le cadre de la construction de tunnel provoquant ainsi des fis- sures dans les murs des maisons des riverain.e.s, dont certaines se seraient effondrées,
Réponses des entreprises aux impacts dus aux grands travaux pour les activités ex- tractives
Au regard de l’impact négatif des activités des sociétés extractives et à la suite des dénoncia- tions et plaintes faites par les comités locaux de suivi, certaines initiatives des entreprises concernées ont néanmoins débuté pour atténuer ces impacts. Les négociations en cours pour des impacts documentés par les comités locaux de
4. Ces données ont été collectées par les leaders communautaires grâce à l’outil Kobocollect et avec l’accompagnement de l’ONG Action Mines qui est un
suivi ont permis d’obtenir un accord à l’amiable entre WCEI et huit (8) résidents impactés dans les localités de Tolomasso, Djala et Wassako. Dans certaines localités, les sociétés WCS et Rio Tinto ont commencé à apporter des réponses aux dégâts provoqués par leurs activités, notam- ment en identifiant les propriétaires des maisons impactées en vue de leur dédommagement, et en construisant des forages pour permettre aux communautés locales d’avoir accès à une eau propre pour usage domestique.
À Damaro, dans le district de Djarankendou, la société minière concernée est en train d’honorer son engagement de construire une maison des jeunes en contrepartie d’un domaine communau- taire exproprié à cet effet. À Kounsankoro, pour les deux impacts enregistrés et à la suite de la saisine du mécanisme interne de l’entreprise par le comité local, l’entreprise a construit une mai- son des jeunes et deux forages communautaires à Farafina. L’entreprise a utilisé un fonds destiné à la compensation d’un domaine communautaire qui a été exproprié pour construire ces infrastruc- tures.
A Kérované Centre, au regard de huit (8) im- pacts documentés, une équipe mixte composée des experts de la direction préfectorale de l’agriculture, d’un conseiller de la commune, d’un membre du comité de suivi et des résidents victimes a été mise en place et a effectué un dé- placement sur le terrain afin de constater les im- pacts sur l’environnement. L’équipe mixte a déjà proposé des mesures à prendre dans un rapport. Un accord a été trouvé avec les victimes dont les moyens de subsistance ont subi des préjudices. Cependant, le Bureau du HCDH note que ces accords n’ont pas pris en compte les recomman- dations dudit rapport d’évaluation en termes de
compensation.
Pour la zone de Kindia, la société concernée, en collaboration avec le comité de suivi, est entrain de recenser les maisons fissurées. Des forages
sont en train d’être construits pour certains vil- lages proches du fleuve afin de fournir de l’eau aux communautés.
Selon l’entreprise Rio Tinto, un plan d’action de Réinstallation et de compensation (PARC), dé- crivant les mesures prévues principalement par rapport au paiement des compensation et l’assis- tance à la restauration des moyens de substance des personnes affectées par les activités liées à l’emprise du Port du Projet Rio Tinto Simandou et la société SimFer, a été élaboré. C’est dans le cadre de la gestion des impacts liés à l’ac- quisition de terres pour les activités situées dans l’emprise du Port Rio Tinto Simandou que cette mesure est prévue dont le démarrage ne débute- ra que dans le second semestre de cette année 2024, selon Rio Tinto
Situation des droits de l’homme au regard de l’exploitation minière artisanale
Le Bureau a continué son activité d’observation de la situation des enfants dans les zones d’ex- ploitation artisanale de l’or. Lors de deux visites sur quatre sites, près de 270 enfants dont près de 140 filles étaient impliqué.e.s dans le travail d’extraction minière artisanale. Ces enfants exé- cutent des travaux variés notamment et surtout le chargement des tricycles et des pick-up, ainsi que le transport de la terre à laver pour la sépa- rer de l’or de la terre. L’importance économique que revêt cette activité minière pour certaines communautés impacte encore plus les filles. En
effet, les filles sont utilisées par des familles pour garder les enfants de plus jeune âge, alors que leurs mères partent travailler dans les mines.
Ce travail entraine des atteintes à leurs droits à l’intégrité physique, à la protection, à la santé, à l’éducation, et à l’alimentation. Le droit à la vie n’est pas épargné à Siguiri, l’année 2023, a compté 132 cas d’éboulements qui ont occasion né 292 décès, 210 cas de personnes blessées dont des personnes handicapées à vie.
VI. LUTTE CONTRE L’IMPUNITÉ ET AD- MINISTRATION DE LA JUSTICE
Poursuites de certains cadres du régime d’Al- pha Condé pour des cas d’homicides lors des manifestations publiques
Depuis le 6 mars 2024, le parquet du tribunal de première instance de Dixinn (Conakry) a entamé les auditions de 26 personnalités du régime déchu de Monsieur Alpha Condé, par- mi lesquelles se trouvent 11 anciens ministres, y compris l’ancien Premier ministre et l’ancien président de l’Assemblée nationale. Il leur est reproché notamment des cas d’homicides per- pétrés par les forces de sécurité au cours des 12 années précédant la prise de pouvoir du 5 septembre 2021 par les autorités de la transi- tion. Ces faits incluent notamment les incidents liés aux manifestations sur la période de 2018 à 2020 contre le troisième mandat de l’ancien Président Alpha Condé. Les organisations de la société civile estiment à plus de deux cents le nombre de personnes tuées durant ces manifes- tations. Pour le moment, les autorités judiciaires déclarent que les enquêtes sont toujours en cours
pour établir les responsabilités.
Cas de violations impliquant les forces de défense et de sécurité
Au cours de ce premier trimestre 2024, le Bu- reau du HCDH en Guinée a assuré le suivi des cas de violations des droits de l’homme impli- quant les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) depuis 2022. Sur 27 cas de violations du droit
à la vie impliquant présumément de gendarmes et militaires, 18 ont été communiqués au parquet du tribunal militaire qui s’est engagé à mener des enquêtes. Le Bureau a également communi- qué au parquet du tribunal de première instance de Dixinn (Conakry) 29 autres cas de violations des droits de l’homme qui impliqueraient des forces de sécurité dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre par les unités mixtes. Ces violations concernent des atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique (actes de mauvais traitement ou torture). Les différents tribunaux ont promis de mener des investigations sur les cas soumis. Le tribunal militaire a informé le HCDH que les enquêtes concernant les personnes tuées dans le contexte de l’attaque de la prison cen- trale de Conakry en décembre 2023 et l’action des forces de défense et de sécurité qui s’en était suivie sont toujours en cours.
Le Tribunal de Dixinn (Conakry) a fait part de ses difficultés dans la conduite des enquêtes, notamment à cause du manque de coopération de la part des forces de sécurité, la mise en terre des corps des victimes avant l’autopsie, la peur des membres de familles à porter plainte ou à témoigner contre les forces de défense et de sécurité.
Population carcérale
D’après les chiffres soumis par l’administration pénitentiaire, en mars 2024, le nombre total des détenus (hommes, femmes, et mineur-e-s confon- du-e-s sur tout le territoire guinéen était de 5.549 contre 5.675 au mois de décembre 2023, avec une diminution de 121 détenus en trois mois, soit une réduction de 2,13%. Parmi les détenus, il y a 3.082 prévenus. Le nombre de condamnés était de 2.467. Il est à noter que l’information obtenue n’inclut pas les chiffres concernant les femmes et filles en détention. Les nouveaux outils proposés à l’administration pénitentiaire par un expert du HCDH aideront l’institution à améliorer ses statistiques et ses rapports.
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Face aux conditions de détention précaires, l’administration pénitentiaire a exhorté le gou- vernement, particulièrement les ministères de la Justice, de la Santé et des Finances, à signer un arrêté interministériel pour une prise en charge médicale, incluant la santé mentale adéquate des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires. Un tel arrêté aurait le mérite de garantir une prise en charge médicale efficace et pérenne en vue de conformer davantage le traitement des personnes privées de liberté aux normes et standards internationaux relatifs aux droits de l’homme. A cet effet, le Directeur de ca- binet du Premier ministre communiquera avec le ministère de la justice et des droits de l’homme afin d’élaborer dans les meilleurs délais un projet d’arrêté interministériel en étroite collabo- ration avec le ministère de la Santé et de l’Hy- giène publique ainsi que le ministère de l’Eco- nomie et des Finances. Le Bureau du HCDH, en collaboration avec l’OMS, a déjà tenu deux séances de travail avec les représentants du ministère de la justice et des droits de l’homme, dans le cadre de l’évaluation des besoins. Le bureau poursuivra son appui technique au minis tère de la Justice et des droits de l’homme dans le cadre de l’élaboration dudit projet d’arrêté interministériel.
Détentions arbitraires et illégales le main tien en détention de prisonniers ayant déjà purgé leur peine
Au cours d’une mission d’observation à la prison de Kankan, le Bureau du HCDH a suivi le cas de cinq militaires et un garde pénitentiaire arrêtés et détenus depuis 2020 à la suite d’une tentative de mutinerie suivie de l’assassinat du comman- dant du camp militaire de Samoreyah, préfec- ture de Kindia. Ils ont été condamnés en juin 2022 à deux ans de prison ferme par le tribunal militaire pour « complot, attentat, assassinat et participation à un mouvement insurrectionnel
>>. A l’expiration de leur peine en novembre 2022, le garde pénitentiaire a été libéré en avril 2023, soit 5 mois plus tard, contrairement à ses
5 coaccusés qui sont toujours en détention. Le parquet militaire a assuré que les nouvelles ins- tructions sont en cours, en lien avec de nouvelles charges contre lesdites personnes. Pourtant, lors de la visite du HCDH, le tribunal militaire n’a fait mention d’aucun document légal pour jus- tifier leur maintien en détention. Dans le cadre du suivi de ce cas, le HCDH a appris qu’une délégation du tribunal militaire s’est rendue à Kankan pour statuer sur le cas, mais n’a pas encore été informé si une décision a été rendue dans l’affaire.
Nomination des magistrats et ses consé- quences sur les affaires en cours
Dans un décret rendu public le 22 janvier, le Président de la transition a nommé plusieurs ma- gistrats et agents de l’administration centrale du ministère de la Justice et des droits de l’homme. Ces nouvelles nominations, et changements de postes, ont entrainé des retards dans le traite- ment des dossiers dans l’ensemble des juridic- tions. En matière pénale, le code de procédure pénale guinéen prévoit que «le juge ne peut fonder sa décision que sur les preuves qui lui ont été apportées au cours des débats et qui ont été discutées en présence des deux parties».
Cette disposition implique qu’un certain nombre d’audiences pénales des juridictions où le re- maniement a été effectué devront être reprises depuis le début. Par conséquent, les personnes accusées pourront voir leurs procès retardés, car les nouveaux magistrats devront reprendre en- tièrement l’instruction de leurs dossiers. Cette si- tuation a comme conséquence l’allongement de la période de détention pour certains détenus. C’est le cas notamment des dossiers judiciaires impliquant les membres de l’ancien régime pour- suivis par la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF).
VII. LES CONFLITS COMMUNAUTAIRES ET TERRIENS
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Conflits entre agriculteurs et éleveurs
Deux incidents violents opposant éleveurs et agriculteurs ont été enregistrés les 08, 10 et 12 janvier, respectivement à Foumbadou et Lainé, deux sous-préfectures de la Préfecture de Lola. Un incident violent entre un éleveur et un résident de Foumbandou a provoqué un sou- lèvement populaire des agriculteurs contre les éleveurs. En effet, à la suite de cet incident, les résidents et agriculteurs de la sous-préfecure de Lainé ont donné 48 heures aux éleveurs pour quitter le village. Le lendemain, les éleveurs ont vu leurs habitations et biens incendiés. Le 13 janvier, les militaires ont été déployés en renfort pour rétablir l’ordre.
Selon les sources locales, une personne a été tuée par balle et trois autres, dont une femme, auraient été blessées par balle par les forces de défense et de sécurité guinéennes. Selon les mêmes sources, quatre membres des forces de sécurité auraient également été blessés par balle par la population locale. Les éleveurs peuls auraient été expulsés du village. Au moins 24 armes de calibre 12 et 4 paquets de cartouches ont été saisis par les forces de défense et de sécurité, et 66 personnes ont été arrêtées (15 femmes, 40 hommes et 11 enfants).
VIII. SOUTIEN AUX INSTITUTIONS NA- TIONALES ET À LA SOCIÉTÉ CIVILE
Appui au renforcement des capacités de la société civile:
Coopération avec les Organisations de la Société Civile (OSC)
Dans le cadre de son programme visant à renfor cer les capacités des organisations guinéennes de défense des droits de l’homme, le Bureau du HCDH a, conjointement avec Amnesty Internatio- nal Guinée, organisé une séance de formation sur l’élaboration de rapports aux mécanismes internationaux des droits de l’homme. L’activité a connu la participation de 30 personnes (8 femmes et 22 hommes), représentant 25 organi-
sations. L’objectif de la session de formation était de contribuer au renforcement des capacités des OSC sur les concepts des droits de l’homme, notamment en matière de rédaction de rapports parallèles. Une attention particulière a été portée à leur collaboration avec l’Examen Périodique Universel (EPU), en vue du 4ème cycle de l’EPU de la Guinée prévu en mars-avril 2025.
Assistance technique et légale :
Assistance technique à la Direction nationale de l’administration pénitentiaire
Une mission d’évaluation des conditions de sécu- rité et de détention dans les huit maisons cen- trales de Guinée a eu lieu du 5 au 20 février. Dirigée par un expert correctionnel des Nations Unies avec le soutien du HCDH, la mission a ré- vélé les défis en matière de sécurité. Les résultats de la mission d’évaluation serviront de base au plaidoyer continu du HCDH auprès des autorités guinéennes pour l’amélioration des conditions de détention dans le pays.
Assistance légale pour la tenue des au- diences et contribution au désengorgement des prisons
Dans le cadre de l’appui du HCDH à l’organi- sation des audiences criminelles au tribunal de première instance de la juridiction de Mafanco (Conakry), 43 décisions ont été rendues concer- nant 42 affaires criminelles. Dans 30 cas, il y a eu des décisions de condamnation contre 13 acquittements et la libération de quatre condam- nés qui avaient déjà purgé l’équivalent de leurs peines en détention provisoire. Cet appui a
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permis à 17 anciens détenus de recouvrer leur liberté. Il est important de souligner que 71,42% des cas étaient liés à des crimes de viol, mettant en lumière l’ampleur de ce phénomène dans le pays.
Le HCDH a noté que les difficultés d’interpré- tation lors des audiences ont eu pour consé- quences d’entraver le bon déroulement des procès et de compromettre promettre les droits des détenus à un procès équitable. En effet, dans certains cas, la traduction était lacunaire et ne permettait pas à l’accusé de se défendre correctement, entrainant une atteinte aux garanties d’un procès équitable.
Actions de plaidoyer:
Adoption de la loi sur la protection des per sonnes vivant avec le VIH-Sida
A la suite des efforts conjoints de plaidoyer du HCDH et de l’ONUSIDA, le Conseil national de transition a adopté, le 12 janvier 2024, la loi relative au VIH-Sida en Guinée. La loi vise,
entre autres, à améliorer la prévention, à fournir des soins efficaces aux personnes séropositives, à mener des recherches sur les stratégies et les programmes d’aide en matière de VIH/sida, ainsi qu’à assurer la protection et la jouissance des droits des personnes vivant ou affectées par le VIH/sida et d’autres groupes en situation de vulnérabilité. La loi adoptée par le parlement de transition renforce les mesures répressives à l’en- contre des auteur.e.s de transmission volontaire du VIH ou des personnes coupables de discrimi nation à l’égard des personnes séropositives.
Plaidoyer sur le référentiel pour compensa- tion en cas d’expropriation
Au cours d’une rencontre entre le Bureau du HCDH et le nouveau Premier ministre de la tran- sition, le 15 mars 2024, le HCDH a plaidé pour la validation en Conseil des ministres du Référen- tiel National de Réinstallation, Compensation et Indemnisation des populations impactées par les Projets de développement en Guinée. Le HCDH a profité de l’occasion pour expliquer la valeur ajoutée et les avantages de ce référentiel par rapport aux droits des membres des communau- tés locales victimes des grands travaux publics.
Les victimes sont contraintes à la délocalisation ou aux déplacements vers d’autres sites, où les populations hôtes sont parfois hostiles à leur réinstallation et à l’exercice de leurs activités socioéconomiques. La validation du référentiel protègerait les droits de l’homme, favoriserait la transparence, stimulerait les investissements, préviendrait les conflits sociaux, et assurerait l’alignement avec les normes internationales.
A cet effet, le Premier Ministre a instruit ses services pour une relecture et une mise à jour du document de « Référentiel national de réinstalla- tion, compensation et indemnisation des popu- lations impactées par les Projets de Développe- ment en Guinée», pour préparer sa validation en Conseil des ministres.
Commémoration des journées internatio- nales:
Appui à la commémoration du 8 mars ELLE DROITS DEU
UNC
PROCES FICTIF SUR LA MUTILATION GENITALE FÉMININE
UNIVERSITE NONGO CONAKRY 08 MARS 2024
sous financiament de ONU Drois de l’Homme Guinée
TRIBUNAL
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Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, le Bureau du HCDH en Guinée s’est joint aux organisa- tions de femmes de Conakry et de Nzérékoré pour organiser des sessions de sensibilisation aux droits des femmes. A Nzérékoré, la séance de sensibilisation sur le thème <<< Investir dans les femmes: accélérer le rythme » a été animée par l’Inspection régionale de la promotion de la femme, de l’enfant et de la protection des groupes vulnérables, les autorités régionales et des représentants des agences des Nations Unies. Les différents intervenants ont appelé à des mesures concrètes pour lutter contre les iné- galités et les discriminations basée sur le genre.
A Conakry, le Bureau du HCDH a organisé un procès fictif sur les mutilations génitales fémi- nines à l’Université Nongo de Conakry en vue de sensibiliser et de mobiliser le corps étudiant pour son implication dans la prévention et la lutte contre la violence basée sur le genre, et les pratiques néfastes, y compris les mutilations génitales féminines.
VIII. RECOMMANDATIONS
Au Gouvernement de la Guinée de :
Lever les restrictions imposées aux médias no- tamment le brouillage et la suspension des pro- fessionnels des médias, ainsi que et l’interdiction générale de tout type de rassemblement, même pacifique, en vigueur depuis le 13 mai 2022.
Diligenter des enquêtes concernant l’usage excessif de la force dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, notamment le décès des deux garçons à Kindia, le décès d’un autre gar- çon à Taouyah, et traduire les auteurs présumés devant les juridictions compétentes.
Etablir un mécanisme national de prévention et de résolution des conflits intercommunautaires, incluant des mesures judiciaires concrètes telles que la poursuite des présumés auteur-e-s de vio- lences, la création de comités de médiation lo-
caux entre agriculteurs et éleveurs, et la tenue de sessions régulières de dialogue, afin de réduire les tensions et prévenir les incidents violents comme ceux survenus en janvier à Foumbadou et Lainé.
Mettre en application les dispositions de la loi sur l’assistance légale gratuite aux personnes en situation de vulnérabilité en vue de lutter contre l’impunité et prévenir la surpopulation carcérale.
Mettre en place un plan de compensation et de réhabilitation environnementale pour les com- munautés affectées par le projet Simandou, en assurant que les mesures incluent la restauration des moyens de subsistance perdus et la réduc- tion de la pollution de l’air et de la dégradation du sol, avec des suivis trimestriels pour garantir l’efficacité et la transparence du plan.
Effectuer la libération des six militaires ou établir un acte légal justifiant légalement et clairement les charges spécifiques et les bases légales du maintien en détention prolongée des six militaires ayant purgé leurs peines depuis novembre 2022.
Aux partenaires techniques et financiers de:
Apporter l’appui nécessaire aux efforts du gou- vernement en vue de professionnaliser les forces de défense et sécurité pour éviter le recours excessif à la force lors de la gestion des rassem- blements publics.
Contribuer à la professionnalisation des jour- nalistes en matière de respect et de déontologie, la prévention des discours de haine et encoura- ger le système d’autorégulation entre les pairs.
Apporter l’appui nécessaire à l’administration judiciaire afin de contribuer aux efforts pour lutter contre la récurrence des cas de détention préventive prolongée.