Alain Delon, le félin du cinéma français, est mort à 88 ans

Alain Delon, le félin du cinéma français, est mort à 88 ans

18 août 2024 Non Par Doura

Il était une star, la star. À une époque où le mot désignait encore, au cinéma, un statut d’exception. Il était l’un des acteurs les plus charismatiques et les plus beaux du cinéma dans le monde. Alain Delon s’est éteint le 18 août à 88 ans.
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Alain Delon dans "Le Samourai" de Jean-Pierre Melville en 1967. (COMPAGNIE INDUSTRIELLE ET COMMER / COLLECTION CHRISTOPHEL)

Alain Delon vient de disparaître à l’âge de 88 ans. Il était la dernière star. Terme aujourd’hui galvaudé, « star » s’appliquait à ces rares personnalités dotées d’un charisme tenant à la fois à la beauté, au charme, à la carrière, mais surtout à une quasi miraculeuse synchronicité avec leur époque. Alain Delon partageait avec Romy Schneider, Yves Montand, Brigitte Bardot ou Jean-Paul Belmondo ce privilège exorbitant et paradoxal qui les rapproche du public en même temps qu’il les tient éloigné du commun des mortels.

Avant d’être cet acteur vieillissant, vitupérant l’époque et parlant de lui à la troisième personne, Alain Delon a été l’un des comédiens les plus appréciés des Français, jusqu’au bout célébré, notamment au Festival de Cannes 2019. Un métier, acteur, auquel rien, pourtant, ne le prédestinait. Au fil d’une jeunesse bousculée entre des parents séparés et une famille d’accueil, Delon, né le 8 novembre 1935 à Sceaux (Hauts-de-Seine), se fait renvoyer d’une bonne demi-douzaine d’écoles. Accueilli par sa mère qui a épousé un boucher-charcutier, il passe un CAP de boucherie qui lui permet d’être employé dans la boutique de son beau-père.

L’Indochine avant le cinéma

Alain Delon a 14 ans quand le cinéma se présente une première fois à lui. Il tourne dans un court-métrage réalisé par le père d’un ami. Il devra pourtant attendre encore huit ans pour qu’Yves Allégret lui confie un petit rôle dans Quand la femme s’en mêle, en 1957.

Entre-temps, le jeune Delon n’est pas resté dans la charcuterie familiale. A 17 ans, il s’est engagé dans la Marine, comme il le racontait en 2018 dans un entretien au quotidien Le Monde (article payant). Affecté à la compagnie de garde de l’arsenal de Saïgon, dans l’Indochine alors française, il en est exclu après des démêlés avec la justice militaire pour avoir volé un véhicule afin d’aller faire une virée.

De retour à Paris, il vit de petits boulots, grenouillant un certain temps dans le milieu interlope des macs et des gigolos. Un soir, l’acteur alors en vogue, Jean-Claude Brialy, remarque ce garçon à la beauté parfaite et l’invite au Festival de Cannes. La connexion avec le cinéma est faite, elle ne se dénouera jamais.

1957, année charnière

Après Yves Allégret, c’est son frère, Marc Allégret, qui engage Delon aux côtés de celui dont il sera toujours l’alter ego autant que l’image inversée, Jean-Paul Belmondo. Tout va ensuite s’accélérer. Dès l’année suivante, il rencontre Romy Schneider, qui l’avait choisi pour être son partenaire dans Christine de Pierre Gaspard-Huit.

A 23 ans, il est encore inconnu. A 20 ans, elle est une vedette internationale grâce aux films Sissi. Fiancés en 1959, ils ne se marieront jamais. Cependant, même après la fin de leur liaison, ils resteront très proches.

Et finalement, la gloire

Dans Plein Soleil, de René Clément, Alain Delon obtient enfin le premier rôle et sa beauté éclate, comme si le titre du film rejaillissait sur lui. Aux côtés de Maurice Ronet et de Marie Laforêt, il impose son image de beau gosse, apollon solaire et meurtrier. L’année suivante, le succès se confirme pour le jeune acteur français, qui triomphe au festival de Venise avec Rocco et ses frères de Luchino Visconti.

Après plusieurs autres films moins déterminants, notamment avec Brigitte Bardot, il est de nouveau remarqué en 1963 dans Le Guépard, Palme d’or à Cannes dans lequel il côtoie Claudia Cardinale et Burt Lancaster. Dès lors, le nom d’Alain Delon devient connu de tous et synonyme de beauté masculine. La même année, il partage l’affiche avec celui qu’il a toujours présenté comme son inspiration professionnelle, l’immense Jean Gabin. Ce sera Mélodie en sous-sol, un nouveau polar signé Henri Verneuil. Ils auront l’occasion de se retrouver.

Tête d’affiche incontestable

Après avoir beaucoup joué pour des cinéastes italiens, puis français, la carrière d’Alain Delon prend un tournant plus international. Il travaille alors en Grande-Bretagne et aux États-Unis, où il côtoie Shirley MacLaine, Marianne Faithfull, Dean Martin ou Anthony Quinn.

En France, le nom d’Alain Delon est désormais aussi important que ceux de Lino Ventura, Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. Les succès s’enchaînent, avec un monument en 1967. Cette année-là, Delon et son épouse Nathalie interprètent Le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Delon, dans un rôle presque muet, en impose jusqu’à ses détracteurs qui ne voyaient en lui qu’un bellâtre sans grand talent dramatique.

Suivent un grand nombre de films à succès avec des partenaires de prestige : Adieu l’ami avec Charles Bronson, Jeff, qu’il produit et interprète avec Mireille Darc, La Piscine, où il impose la sublime Romy Schneider, la sortant d’un passage à vide dans sa carrière, et enfin Le Clan des Siciliens, où il retrouve à la fois Lino Ventura, Jean Gabin et Henri Verneuil.

Les années 1970, les armes à la main

L’un des grands succès du cinéma français du début des années 1970 sera le légendaire Borsalino de Jacques Deray. Il en partage l’affiche d’égal à égal avec Jean-Paul Belmondo. C’est un polar à la fois humoristique et tragique. Autre film important dans la carrière d’Alain Delon, alors en pleine maturité, Le Cercle rouge, encore devant la caméra de Jean-Pierre Melville. André Bourvil, Yves Montand et Gian Maria Volonté partagent l’affiche de ce polar mythique.

Nous sommes en 1972 et Alain Delon s’apprête à traverser cette décennie les armes à la main. Il va essentiellement interpréter des rôles de flics ou de truands. Se succéderont ainsi : Un FlicBorsalino and Co.Doucement les bassesTrois Hommes à abattreLe GangFlic StoryLe GitanDeux Hommes dans la villeMort d’un pourri et Scorpio. Les deux films policiers qu’il interprète à cette époque avec Simone Signoret, La Veuve Couderc et Les Granges brûlées, connaissent un vrai succès, public autant que critique.

Mais Alain Delon, tout en assurant ses revenus et sa légende avec les films policiers, sait aussi prendre des risques. C’est ainsi qu’il produit Monsieur Klein, un film difficile de Joseph Losey. Il y interprète le rôle d’un homme pris pour un homonyme juif, qui finit par être déporté. Il avait déjà rencontré Losey en 1971, il jouait alors le rôle du meurtrier Ramón Mercader dans L’Assassinat de Trotsky.

Des années en demi-teinte à la fin du siècle

Les deux dernières décennies du XXe siècle ne sont pas les plus flamboyantes de la carrière du comédien, même si plusieurs films, comme Pour la peau d’un flic, Parole de flicNe réveillez pas un flic qui dort ou encore Notre histoire, connaissent un succès populaire. Grâce à ce dernier film, signé Bertrand Blier, Delon décroche le César du meilleur acteur en 1985.

Mais cette décennie est aussi celle des films qui passent inaperçus. Un Amour de SwannLe Passage (dont il cosigne le scénario et qu’il produit), Dancing MachineLe Retour de CasanovaL’Ours en peluche et Un Crime ne sont pas tous à proprement parler des échecs, mais aucun n’atteint le succès commercial. En 1990, on retrouve Delon à l’affiche d’un Godard, Nouvelle Vague, qui ne déplacera pas les foules. Mais le seul véritable échec, le pire de la carrière d’Alain Delon, sera Le Jour et la nuit, un nanar intello signé Bernard-Henri Lévy qu’il interprète auprès de Lauren Bacall. Même le film qui scelle ses retrouvailles avec Jean-Paul Belmondo, pourtant signé Patrice Leconte, Une Chance sur deux, ne rencontrera pas le succès attendu.

Avec « Fabio Montale », un retour sur le petit écran

Le nouveau millénaire verra davantage la star au théâtre et à la télévision qu’au cinéma. Sur le grand écran, Alain Delon interprète Alain Delon dans Les Acteurs, l’irrésistible film de Bertrand Blier, il sera aussi un très autoparodié Jules César dans le très raté Astérix aux Jeux olympiques. Sa dernière apparition sur grand écran, en 2019, est pour Toute ressemblance… de Michel Denisot, où il est une nouvelle fois lui-même.

En 2001 et 2002, Alain Delon est Fabio Montale, le héros récurrent de la série du même nom pour TF1. Le comédien renoue à cette occasion avec la popularité qui avait été la sienne au cinéma. Les deux années suivantes, c’est sous le nom de Frank Riva qu’il continue sa participation réussie à une série télévisée, cette fois pour France 2. Il tournera aussi plusieurs téléfilms.

Une carrière sur les planches

Dès 1961, Alain Delon se produit au théâtre sous la direction de Luchino Visconti. Il interprète Dommage qu’elle soit une putain de l’auteur anglais John Ford, avec notamment Romy Schneider et Daniel Sorano. En 1968, il est à l’affiche de Les Yeux crevés de Jean Cau.

A la fin des années 1990, ce sera Variations énigmatiques d’Eric-Emmanuel Schmitt. En 2004, Alain Delon joue dans Les Montagnes russes d’Eric Assous. En 2007, il joue avec Mireille Darc Sur la route de Madison. L’année suivante, il met en scène Love Letters qu’il interprète avec Anouk Aimée. Il y reprend le rôle créé par Philippe Noiret. En 2011 et 2013, il interprète Une journée ordinaire d’Eric Assous dans deux mises en scènes différentes.

« On me compare à Clint Eastwood »

A la tête de sa société de productions Adel ou en son nom propre, Alain Delon a mené une véritable carrière de producteur. En 2008, il confiait au Figaro  : « Cela fait bientôt cinquante-deux ans que je fais ce métier (…) J’ai produit 45 films, je connais ce métier en tant qu’acteur, producteur, réalisateur. On me compare d’ailleurs à Clint Eastwood. Quand j’ai fait les Borsalino, j’étais le patron du film comme producteur. »

Sous la casquette de réalisateur, il a signé deux films : Pour la peau d’un flic en 1981 et Le Battant deux ans plus tard. Il faut noter aussi qu’il a coréalisé Les Granges brûlées en 1973, sans être crédité.

Ses femmes, ses enfants

Parmi les liaisons connues d’Alain Delon, la première et pas la moindre est celle qui a duré quatre ans, de 1959 à 1963, avec Romy Schneider. Pendant cette période, il a une relation avec l’Allemande Nico, chanteuse sur le premier album du groupe américain The Velvet Underground. Le 11 août 1962, elle met au monde un garçon, Christian Aaron, dont l’acteur contestera toujours la paternité malgré une incontestable ressemblance physique.

En 1964, Delon épouse Francine Canovas, connue au cinéma sous le nom de Nathalie Delon. Un fils, Anthony, naît de cette union. Le mariage se termine en 1969. À cette même période, l’amitié qu’Alain Delon entretient depuis une dizaine d’années avec Dalida se change en une brève histoire d’amour. De 1968 à 1983, il est en couple avec Mireille Darc, sans doute l’histoire qui comptera le plus.

Anne Parillaud, puis Catherine Bleynie partageront ensuite brièvement sa vie. Enfin, Alain Delon sera deux fois père avec le mannequin hollandais Rosalie van Breemen, avec qui il a vécu de 1987 à 2001. Ils auront une fille, Anouchka, en 1990, avec qui il jouera plus tard au théâtre, et un garçon, Alain-Fabien, en 1994.Contrairement à celles qu’il entretenait avec ses deux plus jeunes enfants, les relations d’Alain Delon avec Anthony, son fils aîné, étaient presque inexistantes à la fin de sa vie.

Ami de Le Pen, soutien de Fillon et Hidalgo

L’attachement d’Alain Delon à la droite est notoire. Cependant, le personnage était plus nuancé. Si son attachement à la personne du général de Gaulle prédominait, il pouvait soutenir publiquement des personnalités politiques de gauche, si elles lui paraissaient dignes de confiance. Ami de Jean-Marie Le Pen, il déclare préférer Nicolas Sarkozy au Front national. Il soutient Anne Hidalgo lors de sa candidature à la mairie de Paris en 2014, quelques mois après avoir affirmé sa sympathie pour le mouvement de Christine Boutin.

Lors de la primaire de la droite en 2016, il se déclare en faveur d’Alain Juppé face à Nicolas Sarkozy avant de soutenir François Fillon à la présidentielle de 2017. Sa dernière prise de position date de 2018. Il apposait son nom aux côtés de 200 autres personnalités au bas d’une tribune publiée dans Le Monde  appelant les politiques à agir face au changement climatique.

 

 

Alain Delon, soutien de Valéry Giscard d'Estaing lors de la campagne électorale de la présidentielle de 1981, le 10 avril 1981. (DOMINIQUE FAGET / AFP)