Le « pouto » : de l’identité culturelle peule au phénomène de mode
8 juillet 2024Le « pouto » ou « poutoorou » est un célèbre bonnet traditionnel du Fouta-Djallon, l’actuelle Moyenne-Guinée, l’une des quatre régions naturelles de la Guinée. Son origine remonte à l’État théocratique musulman du Fouta Djalon, qui s’est développé de 1727 à la conquête coloniale française, vers la fin du XIXe siècle.
Cet État théocratique était organisé sous la forme d’une confédération dirigée par un almamy. L’almamy était à la fois un chef politique et un chef religieux. Le Fouta théocratique était composé de neuf provinces appelées chacune « diwal ». Ces dernières étaient dirigées par un chef, qui portait le titre de « alfâ ».
Au Fouta-Djallon, le « pouto » ou « poutoorou » est une institution. Il fait partie des symboles de la communauté peule. Autrefois, il n’était porté que par les rois, les marabouts et les riches. Et ces trois catégories sociales ne le portaient pas de la même manière, selon le professeur Maladho Sidy Baldé, historien guinéen et auteur du livre Epopée de Bokar Biro.
« Les motifs du design entre le ‘pouto’ des rois, celui des marabouts et celui des riches étaient différents. Mais aujourd’hui, il est presque impossible de faire ressortir ces différences », observe M. Baldé, qui enseigne l’histoire africaine à l’université de Sonfonia, à Conakry, la capitale de la Guinée.
Au Fouta-Djallon, près de 300 modèles de « pouto » ont été identifiés, selon l’espace et les générations.
Le pouto présente plusieurs couleurs. Il est conçu sur des dimensions variables, et a la forme géométrique d’un cercle.
Le pouto est fabriqué à la main, avec une aiguille, une percale (tissu blanc) et des fils de differentes couleurs. C’est un travail artisanal et surtout très artistique.
Depuis quelques années, en Guinée, l’artisanat connaît une certaine révolution. Les artisans s’organisent en coopératives pour défendre leurs intérêts et lutter contre la contrefaçon des tissus locaux. Ils proposent des articles souvent partagés sur les réseaux sociaux et assistent à de nombreuses foires organisées sur le continent.
Avant son éviction du pouvoir, le président de la Guinée, Alpha Condé, était devenu l’ambassadeur du textile guinéen. Il portait fréquemment des habits fabriqués par les artisans du pays.
Un bonnet jadis interdit aux femmes, aux enfants et aux hommes de castes
Ingénieur informaticien de formation, le jeune Mamadou Lamine Niakaté a la passion de la fabrication du « pouto » depuis 2003. Le collégien qu’il était à cette époque-là, décide alors d’apporter une touche personnelle à la fabrication, à la vente et à la promotion de ce « bijou » peul. M. Niakaté, pour donner une identité à son initiative, crée le « pouto made in Guinea ». En quelques années, l’initiative connaît un franc succès, car de nombreux jeunes guinéens jettent leur dévolu sur le « pouto », comme pour tutoyer la chefferie et la sagesse, dont le bonnet était le symbole.
Aujourd’hui, le jeune entrepreneur âgé de 33 ans fait de cet accessoire vestimentaire un effet de mode. Il fabrique un design et de nombreux motifs bien colorés, entrainant une ruée des jeunes de son pays et de la diaspora vers ses créations. Mais pour y arriver, il a dû ‘’bousculer’’ certaines règles préétablies.
Le jeune entrepreneur tient toutefois au respect du design traditionnel du bonnet, lequel prend en considération, quelques aspects de la société peule. Les neuf carreaux du bonnet représentent, par exemple, les neuf provinces du Fouta théocratique. Sa créativité l’amène à dessiner la carte de l’Afrique et de la Guinée. Les « pouto » de Mamadou Lamine Niakaté évoquent aussi, par leurs dessins, la célèbre tresse « djoubhaadé », qui distinguait autrefois les filles et les femmes peules.
L’artisan tient à préciser que certains « pouto » aux motifs particuliers ne sont pas destinés à la vente. Ils sont plutôt exposés dans les musées, dans le but de perpétuer cet accessoire vestimentaire peul.
Selon le professeur Maladho Sidy Baldé, cette touche de modernité pourrait avoir des conséquences sur l’avenir du « pouto », sur son originalité notamment. La confection d’un bonnet peut aller jusqu’à trente jours.
Dans le Fouta théocratique, c’était une obligation, quand arrive l’âge du mariage, de trouver sa conjointe au sein de sa tribu. Et chaque groupe social avait son propre rôle à jouer. Les nobles disposaient d’esclaves, des captifs en réalité ou des descendants de captifs engendrés par les batailles en vue de l’islamisation des groupes ethniques. Les « mathioubhé », esclaves ou serviteurs en pular, l’une des principales langues de la Guinée, disposaient d’une petite marge de liberté. Par conséquent, il leur était interdit de porter le « pouto ». Les femmes et les enfants, nobles ou asservis, étaient également assujettis à l’interdiction du port de ce bonnet.
Aujourd’hui, ces règles coutumières ont disparu, fait observer la styliste guinéenne, Boubacar Binta Diallo. Sans vouloir briser des tabous, elle est d’avis que le « pouto » doit s’adapter à la modernité. Elle a confectionné un chapeau pour elle-même et a reçu des encouragements de son entourage. La styliste envisage de lancer sa collection de « pouto » pour femmes.