Roland Dumas, emblématique ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, est mort à l’âge de 101 ans

Roland Dumas, emblématique ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, est mort à l’âge de 101 ans

4 juillet 2024 Non Par Doura

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Cet ancien avocat avait également présidé le Conseil constitutionnel entre 1995 et 2000.

L’un des derniers piliers de la mitterrandie s’est effondré. Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, est mort à l’âge de 101 ans, a appris franceinfo par son entourage, mercredi 3 juillet. Au cours des deux septennats de l’ancien président socialiste, l’avocat avait occupé diverses fonctions gouvernementales, d’abord comme ministre délégué aux Affaires européennes entre 1983 et 1984, puis comme éphémère porte-parole du gouvernement, avant de s’installer au Quai d’Orsay entre 1984 et 1986, puis de 1988 à 1993.

Personnage controversé de la vie politique française, cet ancien résistant avait enchaîné les propos et les prises de position polémiques dans le dernier quart de sa vie. Fils de Georges Dumas et d’Elisabeth Lecanuet, Roland Dumas était né en 1922 à Limoges (Haute-Vienne). Son père, directeur de l’octroi et des régies municipales de Limoges, avait mené des actions dans « l’armée des ombres » en tant que responsable régional du noyautage des administrations publiques, avant d’être fusillé par les Allemands en mars 1944, selon le site historique Maitron.fr. A l’âge de 23 ans, Roland Dumas avait été chargé d’identifier la dépouille de son père. « On avait fait à chacun un truc pour qu’on les reconnaisse. Mon père, on lui avait coupé la cravate. C’est comme ça que j’ai su », raconte-t-il au Monde en 2015.

De la résistance à la robe d’avocat

Roland Dumas suit les traces de son père pendant l’Occupation et transporte des armes pour les maquisards de la région de Grenoble, détaille sa fiche biographique sur le site de l’Assemblée nationale. Il est décoré à la Libération de la Croix de guerre et de la Croix du combattant volontaire. Dans l’après-guerre, il achève ses études de droit et hésite un temps entre le journalisme à l’Agence économique et financière (l’AGEFI), la carrière d’avocat et le chant lyrique. « J’ai préparé le Conservatoire mais j’ignore si j’aurais réussi à devenir un grand ténor car, être au barreau, faire de la politique et monter sur scène, cela aurait fait beaucoup… » raconte-t-il au Monde en 2009.

Roland Dumas (à gauche) en janvier 1961, à Paris. (AFP)

Il trouve sa voie dans les prétoires en s’impliquant dans plusieurs dossiers, comme l’affaire Jean Mons du nom du secrétaire général de la Défense accusé de livrer des secrets militaires au Parti communiste. L’extrême droite instrumentalise le scandale politique pour atteindre le chef du gouvernement, Pierre Mendès France, et le ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain François Mitterrand. Il gagne ensuite la première de ses cinq élections à l’Assemblée nationale en 1956 en Haute-Vienne, sous l’étiquette de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance, le parti du même François Mitterrand. Mais il est ensuite balayé par la vague gaulliste de 1958.

On retrouve ensuite le nom de Roland Dumas dans de nombreux procès politiques des années 1960 et 1970, entre les dossiers mettant en cause les « porteurs de valise » (des soutiens du Front de libération nationale pendant la guerre d’Algérie), l’affaire des diamants de Bokassa ou encore celle des « plombiers » du Canard enchaîné. Il retrouve un siège au Palais Bourbon en gagnant une circonscription en Corrèze en 1967, mais pour une année seulement. C’est avec le retour de la gauche au pouvoir en 1981 qu’il parvient à se faire un fief en Dordogne après y avoir été parachuté. 

Une vieillesse en forme de naufrage

Entré au gouvernement, il devient vite l’un des fidèles de François Mitterrand, son homme de confiance au ministère des Affaires étrangères, régulièrement comparé à Charles-Maurice de Talleyrand, l’habile diplomate ayant servi tous les régimes de la Révolution à la Restauration. « Son sens des contacts, ses amitiés lui permettent d’asseoir son autorité. Revers de la médaille, il agit seul et mélange diplomatie et séduction médiatique, ce qui n’est guère apprécié dans son ministère », décrit Libération dans un portrait en 1995. Dans son livre Coups et blessures, publié en 2011, Roland Dumas rappelle cette phrase attribuée à François Mitterrand par l’un de ses conseillers : « J’ai deux avocats. Pour le droit, c’est Badinter ; pour le tordu, c’est Dumas. »

François Mitterrand et Roland Dumas, le 29 mai 1989, lors d'un sommet de l'Otan, à Bruxelles. (GEORGES GOBET / AFP)

En mars 1993, il est battu aux législatives lors de la vague bleue qui impose une seconde cohabitation à François Mitterrand. Mais il rebondit vite, dès 1995, en étant nommé président du Conseil constitutionnel par le chef de l’Etat. Sous son chaperonnage, les Sages vont valider les comptes de campagne de Jacques Chirac et Edouard Balladur, malgré des dépassements manifestes des dépenses, comme l’a révélé l’ouverture des archives de l’institution en 2020. Soupçonné de corruption en marge de l’affaire Elf, Roland Dumas est condamné en première instance avant d’être relaxé en 2003 par la cour d’appel de Paris. Mais cette affaire le contraint à quitter le Conseil constitutionnel. Il est ensuite condamné définitivement à douze mois de prison avec sursis et 150 000 euros d’amende pour complicité d’abus de confiance, dans le cadre de la succession du sculpteur Alberto Giacometti.

Loin des responsabilités, il partage par la suite son temps entre l’écriture de ses souvenirs et des interventions dans les médias. Digne représentant du système de la Françafrique, il n’hésite pas à créer la polémique en acceptant par exemple de défendre le président ivoirien Laurent Gbagbo en 2010. Il provoque également l’étonnement et l’indignation en s’affichant aux côtés du gratin de l’extrême droite lors d’un spectacle de Dieudonné en 2006, en mettant en cause la version officielle concernant le 11-Septembre ou en déclarant en 2015 que le Premier ministre Manuel Valls était « probablement sous influence » juive

« La vieillesse est un naufrage », avait écrit dans ses Mémoires de guerre le général de Gaulle au sujet du maréchal Pétain. Sur les dernières années, les socialistes ont plusieurs fois fait appel à la formule au sujet de l’ancien ministre. Avec la mort de Roland Dumas, la vie politique française perd une mémoire vive des années Mitterrand, un fin connaisseur des arcanes du pouvoir et de la diplomatie internationale. Mais elle tourne aussi la page d’une époque marquée par les affaires et la tactique politicienne.