Guinée/dépositions des dignitaires déposés : La Révolution vue par Ismaël Touré
2 mai 2024
Cette équipe a eu vraiment, a éveillé en nous les meilleurs sentiments de réconfort, de confiance en nous-mêmes et en l’équipe qui a sûrement beaucoup de problèmes à résoudre mais avec les hommes de bonne volonté, il pourra réussir sa mission.
Commission d’enquête: Vous avez parlé tout à l’heure de responsabilité collégiale et responsabilité personnelle. Est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous considérez comme responsabilité collégiale et comme responsabilité personnelle ?
Ismaël Touré: Oui ! Pour ainsi dire, je prends un exemple concret : lorsqu’un CNR ou une conférence économique prennent une décision opérationnelle dans le domaine économique, production, commerce, transport, service… Puisqu’on est membre de cette organisation politique de décision, les conséquences entrainées par cette décision nous concernent tous et nous en sommes pour ainsi dire tous responsables. Même si personnellement nous ne l’approuvions PAS. C’est la majorité qui l’emporte, je crois que c’est une règle générale. Maintenant, dans le domaine gouvernemental euh, de fonctionnement du gouvernement, on a eu à plusieurs occasions à assumer une responsabilité PARTICULIÈRE.
Commission d’enquête: Pour en revenir à cette question, dans votre précédente déclaration vous avez reconnu l’échec économique du régime défunt. Cependant, vous étiez non seulement membre du BPN mais aussi vous avez dirigé les départements économiques du pays. Est-ce qu’à ce titre vous ne vous rendez pas en partie responsable de cet échec ?
Ismaël Touré: En partie, si. Mais avec beaucoup de circonstances atténuantes. Si on tient compte de nos initiatives qui ont été contrecarrées, de nos propositions concrètes comportant toutes les garanties des réalisations qui ont été refusées, et parfois les changements de postes qui ont entrainé des conséquences économiques sérieuses. Voilà pourquoi je dirais que nous sommes devant … un échec économique que nous aurions pu éviter. Si vous permettez, je donnerais l’exemple du Trans guinéen. Il s’agissait de construire une ligne de chemin de fer de 1200 kilomètres reliant Conakry à Nzérékoré avec un branchement sur Tougué et Dabola, il devait aussi drainer les deux mines de fer de Nimba et de Simandou, c’est à dire que la ligne passe par Beyla aussi et Kérouané et permettre à la Guinée d’être un des premiers pays exportateurs de minerais à haute teneur.
Et la rentabilité a été démontrée par l’étude faite par les Canadiens à partir de quatre mines seulement, deux mines de fer: Nimba, 15 millions de tonnes, Simandou 30 millions de tonnes et deux mines de bauxite: Dabola, 5 millions de tonnes et Tougué, 5 millions de tonnes. On avait réussi aussi à organiser des sociétés mixtes qui devaient exploiter ces ressources avec la Guinée.
On connait Mifergui-Nimba puisque le projet n’est pas abandonné, il continue mais l’opinion guinéenne, l’opinion nationale connait moins le cas de la société de bauxite de Dabola, SBD, dont le cadre technique était Bolivogui et ce projet était si avancé que nous avions reçu la convocation organisée par nos partenaires pour une rencontre à Zurich afin de mettre en place le financement et construire une usine d’alumine d’un million de tonnes. Alors, à coté aussi, il y avait le projet Somiga à Tougué, société minière Guinée-Alusuisse dont le cadre technique était Barry Modi Sory, nommé par MOI-MÊME – par nous-mêmes. Eh bien, par la suite, les deux sociétés ont fusionné, étant donné la nature de leur exploitation et de leur projet, c’était bauxite et alumine en même temps. Par la bauxite d’abord et l’alumine ensuite mais bauxite et alumine en même temps. On a pu donc convaincre les deux partenaires de faire un seul projet. Et c’est ce projet unique qui était assuré de trouver son financement sous l’impulsion d’un homme qui est très connu aux Etats-Unis, Reynolds, la société Reynolds. Alors le voyage devait se tenir, les billets étaient pris, on devait se retrouver à Zurich, on nous a dit «non, vous ne pouvez pas aller. Parce que si vous obtenez le financement de SBD, ça va compliquer le financement de Ayekoye». Ayekoye était confié à un autre comité d’État, nous nous avions le comité d’État Asie et l’autre comité d’État, celui des pays arabes était confié au Premier Ministre. On a dit donc vous ne pouvez pas aller, parce que la Guinée s’intéresse davantage à Ayekoye, étant donné qu’avec Ayekoye on pourra faire le Konkouré, mais c’était une argumentation qui techniquement, vue de près, n’était pas VALABLE. Nous pouvons le soutenir devant n’importe quelle instance. On nous a bloqués, et cela nous a surpris puisqu’au départ on savait que tous les comités d’État devaient s’organiser et présenter leurs bilans; donc c’était une compétition entre les comités d’État. Et quand un comité d’État arrive à faire des progrès, à la veille d’obtenir un résultat, je crois qu’on doit d’abord enregistrer ces résultats, ensuite tirer les conséquences. Finalement, Dabola a été supprimé, SBD, Dabola/Tougué, Ayekoye n’a pas vu le jour, le Konkouré n’avait aucune chance de réalisation et aujourd’hui je crois qu’on n’a rien eu… tout le monde a compris.
(Murmures) Concernant le Trans guinéen-là, on entendait souvent les rumeurs disant que l’accord de passer par LAMCO était obtenu. Alors on ne sait pas ce qu’il y a de vrai ou de faux, mais comme vous vous étiez bien placé…
Ismaël Touré: Oui !
Commission d’enquête:Est-ce vrai, est-ce faux, quels sont les avantages ? Quels sont les inconvénients ? Si vous pouvez nous éclaircir cette partie – on a entendu ça, les gens dirent que c’était accepté que ça passe par LAMCO.
Ismaël Touré: Oui ! Vous savez à ce moment en passant par LAMCO, il s’agit presque uniquement du gisement du Nimba, alors que le Trans guinéen peut drainer non seulement celui de Simandou mais seize autres mines de Guinée recensées actuellement. Seize exploitations minières. Et sans compter que ça dynamiserait la production et l’exportation agricole et forestière. C’est un axe national. Et dans un certain sens aussi, on a pensé qu’à long terme, on ne peut pas compter pour une grande exploitation minière, sur les chemins de fer voisins. Ça dépend des relations entre les pays.
Commission d’enquête:Ça dépend des équipes en place.
Ismaël Touré: Oui, exactement oui. Beaucoup d’inconvénients.
Commission d’enquête:Beaucoup d’inconvénients… Y’en a un qui peut accepter et l’autre qui vient refuse.
Ismaël Touré: Commandant, avec votre permission, j’ajouterais que les travaux étaient prévus en cinq ans. Parce qu’on devait ouvrir plusieurs chantiers régionaux et ils devaient commencer en 1976 et terminer en 1980… Bon. Ensuite, on devait faire travailler pendant ces cinq ans, 60 000 travailleurs. Et une fois le système mis en marche avec les travailleurs du port et du chemin de fer, on faisait l’équivalent de 10 000 emplois permanents.
Voilà des données qui sont intéressantes à connaitre. Et on pouvait évacuer 50 millions de tonnes par an.
(Suite dans le prochain numéro)