Une grande figure de l’opposition – et du journalisme africain – s’est éteinte le 14 mars, à Paris. Ferme dans ses convictions mais ouvert au dialogue, il était l’image même de la force tranquille.
La lumière s’est éteinte. Siradiou (déformation peule de siradj, « lampe » ou « lumière » en arabe) est mort le 14 mars à 21 heures, au Centre hospitalier Robert-Ballanger, à Aulnay-sous-Bois, dans la banlieue nord de Paris, où Thierno Oumar Diallo, son frère cadet, exerce la profession de radiologue. L’homme politique guinéen – et ancien vice-président du groupe Jeune Afrique – avait 68 ans et souffrait d’une insuffisance rénale.
La ville de Labé, à 400 km de Conakry, où il doit être inhumé le 26 mars, pleure son fils. Et la Guinée, qui a accueilli sa dépouille le 21 mars avant de lui rendre hommage, cinq jours plus tard, à l’Assemblée nationale, perd l’une de ses grandes figures publiques. Sans doute la moins portée à l’épreuve de force, mais non la moins déterminée dans l’engagement politique. Le mal qui l’a finalement emporté, et dont il ignorait la gravité, Siradiou Diallo croyait l’avoir sinon dompté, du moins pouvoir vivre avec. Comme tant d’autres.
Le destin en a décidé autrement, en ce dimanche de mars. Quelques jours plus tôt, le 28 février à Paris, Siradiou avait rencontré d’autres chefs de file de l’opposition, pour faire ce qu’il n’a jamais cessé de faire : parler de la Guinée. Calmement, comme à son habitude. « Ce jour-là, il n’était pas au mieux de sa forme, se souvient Jean-Marie Doré, le chef de l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG), mais de là à penser qu’il allait disparaître… C’était simplement inconcevable. » À l’issue de la rencontre, comme pour rassurer son monde, Siradiou avait même proposé un dîner. « Pourquoi pas chez Alpha Condé [chef de file du Rassemblement du peuple de Guinée, RPG], il fait très bien la cuisine », avait-il plaisanté. Mais le dîner n’avait pas eu lieu. Pas plus qu’une émission à TV5, qu’il avait fallu décommander, au dernier moment. À Thierno Oumar, au téléphone, il avait indiqué qu’il se sentait un peu las, qu’il souffrait de vertiges, de nausées. Il lui parle aussi de maux de ventre.
Le 1er mars, son frère lui rend visite à son domicile, dans le 20e arrondissement de Paris. Le trouvant anormalement fatigué, il revient le lendemain pour prendre sa tension
artérielle, mais ne le trouve pas : Siradiou est sorti. Il le rappelle dans la soirée pour lui suggérer non sans insistance de prendre un rendez-vous chez le médecin. Ce qu’il
finit par faire. On lui prescrit diverses analyses Trois jours plus tard, Thierno Oumar l’emmène chez lui pour lui permettre de se reposer. Au bout de quarante-huit heures, une
légère amélioration est perceptible, mais mieux vaut s’en assurer à l’hôpital. Le 9 mars, les médecins diagnostiquent une insuffisance rénale aiguë et décident de l’hospitaliser.
Au cours des jours suivants, son état se détériore. Dialyse, déblocage des reins… Siradiou s’accroche, le cur tient, mais la lutte est inégale. Le 14 mars, vers 16 heures,
il sombre dans le coma. À 21 heures, les médecins constatent le décès. Silence. Moins d’une semaine après avoir été admis à l’hôpital, Siradiou le quitte. Aussi discrètement qu’il y était entré. Il laisse une veuve, Assiatou, trois enfants (une fille et deux garçons) et beaucoup de compatriotes orphelins. À commencer par ceux, leaders politiques ou simples militants, chefs religieux ou citoyens lambda, qui défilent chez le défunt, dans le quartier de Coléah-Lanséboundji, à Conakry.
Les hommages se succèdent, qui ne sont pas de simples propos de circonstance. Tout le monde salue l’homme de coeur qui s’est toujours efforcé d’écouter les autres. Le modéré qui se refusait à diaboliser l’adversaire. Dans la vie comme dans le combat politique. Convaincu que tout ce qui est excessif est inutile et vain, Siradiou n’aimait pas les
outrances. Il en était économe au point de passer, dans certains cercles de l’opposition, pour un conservateur. Sans doute l’était-il, du reste, mais cela ne suffit pas à le définir. S’il donnait parfois l’impression d’être effacé, peu pressé au point de paraître nonchalant, ce n’était qu’une apparence. Le Peul était une énigme. Non qu’il aimât brouiller les pistes. Journaliste pendant près d’un quart de siècle à Jeune Afrique, il avait simplement fréquenté dans l’intimité tant de chefs d’État, ministres, dépositaires du pouvoir ou opposants qu’il avait fini, sans déchoir, par devenir l’un des leurs.
Houphouët, Senghor, Ahidjo, Mobutu, Moussa Traoré, Kountché, Bongo, Eyadéma, Kérékou, Diouf, Sassou Nguesso, Wade, Obasanjo… Siradiou les a tous connus, rencontrés, parfois interviewés. Il manifestait même quelque sympathie pour certains d’entre eux. En juillet 1991, il avait pris sa retraite journalistique et était rentré d’exil. Ou plutôt : il avait définitivement renoncé à cet exil que fut pour lui le journalisme pour devenir un homme politique à plein temps et soumettre ses idées à l’épreuve des faits. Au lieu de créer son propre parti, il choisit d’adhérer à une formation, dont il lui fallut
conquérir la base et les cadres avant d’accéder au poste de secrétaire général, le 29
décembre 1991.
Chef incontesté du Parti du renouveau et du progrès (PRP, désormais rebaptisé UPR : Union pour le progrès et le renouveau), l’un des trois principaux mouvements de l’opposition avec ceux d’Alpha Condé (RPG) et de Mamadou Ba (Union pour la nouvelle république), Siradiou ne tient pas le discours le plus facile. Opposant, certes, mais réaliste et pondéré, il prône le dialogue et la voie légaliste, celle des urnes et de la renaissance à la démocratie, au risque de décevoir certaines impatiences y compris dans son propre
camp. Il fait face, car il est en terrain de connaissance et ne veut pas entendre parler de la politique de la chaise vide.
Ses rapports avec la politique intérieure guinéenne ne datent pas de son retour définitif au pays. Dès les années 1950, à l’École normale de Kankan, il n’est pas le moins actif des militants. Et à Dakar, où il fréquente l’École normale William-Ponty, puis l’Université, pas davantage : il mène l’offensive des étudiants guinéens contre le régime
de Sékou Touré. C’est d’ailleurs pour échapper aux sbires de l’ex-dictateur que Siradiou, avec l’aide de quelques amis, quitte la capitale du Sénégal pour la France. Il passe par
Nouakchott et débarque à la fac de Poitiers, en 1962. L’un de ses condisciples se nomme Joaquim Chissano, aujourd’hui président du Mozambique. Il en sort avec un diplôme d’études supérieures en sciences économiques et milite à la Fédération des étudiants
d’Afrique noire en France (Féanf).
Après des passages plus ou moins longs dans diverses institutions économiques françaises, dont l’Insee, il rejoint, en 1970, l’équipe de Jeune Afrique, où il doit intégrer le
service documentation. On ne l’y voit pas. Il est très vite à la rédaction, dont il devient l’une des icônes subsahariennes. Sa carte de presse en poche, Siradiou parcourt en
tous sens cette partie du continent. On le voit partout, sauf chez lui, en Guinée, où il est condamné à mort par contumace pour sa participation supposée épisode sur lequel il restera toujours mystérieux , en novembre 1970, au débarquement à Conakry d’opposants guinéens en armes appuyés par des mercenaires portugais. Il ne foulera le sol de son pays qu’en 1984, à la mort de Sékou Touré.
Lansana Conté, le successeur de celui-ci, instaure le multipartisme mais demeure fermé à la nouvelle donne démocratique. Face au nouveau régime, Siradiou joue le rôle d’un modérateur, disent certains ; d’une caution, soutiennent d’autres, prompts à l’excommunier. En juin 2002, il se démarque de ses camarades du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad) et accepte de participer aux élections législatives, largement remportées par le pouvoir. Son parti compte vingt députés dans la nouvelle
Assemblée. Le « dialogue national » engagé par le pouvoir en juillet 2003, dans la perspective de la présidentielle de décembre de la même année, va le rapprocher de l’opposition radicale. « Il se trouve, confie-t-il dans ces colonnes, que sans être membre du Frad, nous nous situons, par simple coïncidence et non à la suite d’une concertation, sur la même longueur d’onde que cette structure. L’essentiel, puisque l’adversaire est toujours là et ne change pas, c’est de faire preuve de réalisme. »
Tout Siradiou est là. Ainsi que tout le vide que sa disparition peut laisser dans le paysage politique guinéen.
La semaine prochaine, nous consacrerons la rubrique « Vous & Nous » aux réactions et témoignages, célèbres ou anonymes, qui nous sont parvenus.