Guinée : Charles Wright dit non au premier ministre
13 février 2024La crise devient profonde entre le premier ministre Dr Bernard Goumou et le ministre d’Etat de la justice garde des Sceaux, Alphonse Charles Wright. Du berger à la bergère, Charles Wright a répondu à la préoccupation du premier lui demandant de suspendre les injonctions contre les DAF et autres.
Pour Charles Wright, c’est la Justice qui fera son travail.
Voici le courrier
MONSIEUR LE PREMIER MINISTRE CHEF DU GOUVERNEMENT
Conakry –
Objet: Accusé de réception et observations concernant votre courrier n°0467/CABP/SP-PM en date du 13 février 2024.
Monsieur le Premier Ministre,
Me référant à la correspondance référencée en objet, vous m’avez fait part de votre étonnement sur les injonctions aux fins d’ouverture d’enquête, d’une part sur la gestion de tous les Chefs de division des affaires financières et, d’autre part, sur la gestion financière des Autorités des collectivités décentralisées, singulièrement les Maires ainsi que la suspension de toutes les procédures engagées.
Monsieur le Premier Ministre, en lieu et place des remarques et instructions que vous me faites, je m’attendais à une invitation de votre part en qualité de Chef du Gouvernement, à l’effet de vous éclairer sur les principes gouvernant les institutions judicaires (Cours et Tribunaux), la procédure judiciaire en matière pénale ainsi que ses principes directeurs.
Cette démarche, à mon humble avis, pouvait vous permettre de comprendre la régularité des procédures judiciaires engagées, le rôle du Ministre de la Justice en rapport avec les autorités en charge des poursuites (les Magistrats du ministère public), ce qui vous aurait éviter toute interprétation de nature à porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire si cher au Président de la République dans sa vision de refondation de l’Etat, de Rectification institutionnelle et de moralisation de la vie publique.
En dépit de tout, Monsieur le Premier Ministre, je me tiens à votre disposition, si vous en exprimez le besoin, pour un entretien qui me permettra de faire valoir les arguments d’explications de vive voix et de manière plus approfondie sur le bien-fondé des actions entreprises dans le cadre de la mise en œuvre de la politique pénale du gouvernement conformément à l’article 37 du code de procédure pénale.
Monsieur le Premier Ministre, en amont, j’ai bien évidemment lu avec la plus grande attention le courrier sus référencé que vous m’avez adressé ce jour, et souhaite, en réponse, faire respectueusement valoir les arguments suivants que je souhaite de nature, non pas à me justifier, mais à expliquer ma position en vous éclairant sur la logique des instructions que j’ai données aux fins de déclenchement d’enquêtes pénales.
Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des droits de l’homme est organiquement placé à la tête des magistrats des parquets et ceux de l’Administration centrale du Ministère de la Justice conformément à l’article 21 de la Loi Organique LO/054/CNT/2013 du 17 mai 2013 portant statut des Magistrats qui dispose : « Les Magistrats des Parquets et ceux de l’Administration centrale de la Justice sont placés sous la direction et le contrôle de leurs Chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Ministre de la Justice Garde des Sceauх…».
En outre, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, au-delà de ses fonctions ministérielles soumises à la coordination de Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, dispose des attributions qui lui sont propres en matière procédurale, et ce, conformément à l’article 37 du code de procédure pénale qui dispose: << le Ministre de la Justice conduit la politique pénale déterminée par le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.
A cette fin, il adresse aux Magistrats du ministère public des instructions générales de politique pénale.
Il peut dénoncer au Procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager les poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le Ministre juge opportune >>.
Monsieur le Premier Ministre, comme vous le savez, notre politique pénale déjà vulgarisée et servie à tous les membres du Gouvernement est composée de quatre (4) axes stratégiques à savoir:
lutter contre la criminalité, la délinquance et l’impunité; restaurer la confiance des justiciables en la justice;
renforcer l’accès au droit et à la justice; enfin, développer la coopération internationale en matière pénale.
Cette politique pénale dispose, pour sa mise en œuvre, la stratégie ci-après:
les mécanismes de pilotage;
la stratégie de communication;
la stratégie de mobilisation financière.
Au regard de toutes ses considérations, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice est celui qui porte au plus haut niveau et dans l’intérêt général, la responsabilité d’exercer l’action publique et de déterminer et coordonner la politique pénale à travers les injonctions faites aux Procureurs et les instructions générales.
Les nécessités ou les impératifs qui incombent au Ministre de la Justice de veiller à la bonne administration de la justice ne sont pas toujours compatibles avec les besoins ou les commodités d’animation politique auquel le Premier Ministre ou les autres membres du Gouvernement sont soumis.
En effet, c’est le législateur lui-même qui, à l’exclusion de toute autre autorité politique ou administrative, a donné un pouvoir non concurrentiel au Ministre de la Justice à travers les dispositions précitées.
Ainsi, les injonctions dont il s’agit trouvent leur base légale dans la loi.
L’institution judiciaire est ce pouvoir qui équilibre et garantit le bon fonctionnement de nos institutions, veille au respect de la loi et assure l’exercice de protection des droits de l’homme et des libertés individuelles, dans la plus stricte observation des dispositions de notre Charte de la Transition, ayant valeur constitutionnelle.
Mon action à la tête de ce département ministériel et, notamment, ines décisions en matière de déclenchement des enquêtes, s’inscrivent strictement en droite ligne des grands axes stratégiques de la politique pénale du gouvernement en matière de lutte contre la grande criminalité économique et financière, et contre les phénomènes constitutifs de corruption.
Une enquête pénale, autre élément sur lequel il me semble devoir attirer votre attention, n’a, en réalité, d’autres objectifs que de faire la lumière sur des éléments portés à la connaissance du Ministre de la Justice, ou à celles des officiers de Police judiciaire (OPJ) ou des Parquets et de déterminer, si les faits ainsi dénoncés ou évoqués sont avérés au point de constituer, in fine, une infraction pénale.
Une enquête lave donc le soupçon tout autant qu’elle permet d’asseoir des poursuites.
Une enquête pénale porte sur des faits possiblement commis par telle ou telle personne, mais jamais sur une personne. L’enquête se déroule, en effet, selon l’adage latin, << in rem >> et non « in personae ».
Enquêter sur les faits permet, en cas d’infraction relevée, de déterminer à la suite et seulement à la suite, qui sont les responsables de ces actes. Ainsi, par exemple, si des soupçons de non-respect des procédures sont portés à l’encontre d’un Chef de division des affaires financières (DAF), l’enquête aura vocation, si des crimes ou délits ont effectivement été commis, à cerner et déterminer le ou les responsables pénaux de ces faits sous les statuts d’auteurs, coauteurs ou complices.
En matière d’enquête portant sur des soupçons de crimes ou délits économiques et financiers, il est impératif que les personnes mises en cause soient maintenues à disposition des enquêteurs, puis des magistrats instructeurs en cas d’ouverture d’information judiciaire.
Demander aux personnes mises en cause par voie de réquisition judiciaire des Procureurs, sur instruction du Garde des Sceaux, ne saurait être considéré comme une atteinte à leurs libertés d’aller et de venir, étant entendu que ces mesures sont temporaires, provisoires, une précaution élémentaire qui ne préjuge en rien de leur culpabilité. Elle constitue certes, une contrainte, tout comme dans nos sociétés démocratiques d’autres contraintes existent qui sont librement acceptés par nos concitoyens à la fois libres et responsables par respect pour l’autorité de la justice ou de la loi.
En ce qui concerne les procédures ouvertes par suite de nos injonctions, les procédures sont jugées d’une part, et d’autre part, en cours d’information judiciaire sans aucune immixtion de notre part par respect du principe d’indépendance du pouvoir judiciaire comme le cas de la procédure de dégel des comptes pendant devant le Tribunal de première instance de kaloum ou la phase d’enquête a été complètement clôturée. C’est à cet égard que ces procédures n’ont pas vocation à être communiquées au pouvoir exécutif.
Sur votre demande de suspendre toutes les procédures engagées, je suis au regret de rappeler que l’action publique ne peut être ni interrompue, ni suspendue ou éteinte par l’instruction du pouvoir exécutif, et toute insistance dans ce sens serait une entrave à la justice, constitutive d’infraction à la loi pénale, avant d’être une atteinte grave au principe de séparation des pouvoirs.
Le Président de la République, en tant que garant de la stabilité et de l’équilibre des institutions, ne saurait tolérer une telle violation de la part de quelques autorités que ce soient.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’assurance de ma respectueuse considération.
CC: S.EM le Président de la République.
Conakry, le 13 février 2024.
ALPHONSE CHARLES WRIGHT