Le spectre d’une intervention militaire au Niger n’est pas dissipé, malgré les appels à une solution pacifique. La diplomatie reste le « moyen préférable » pour résoudre la crise provoquée par le coup d’Etat au Niger, a déclaré le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, dans un entretien à RFI, lundi 7 août. « C’est la démarche de la Cédéao (la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), c’est notre démarche et nous soutenons les efforts de la Cédéao pour rétablir l’ordre constitutionnel », a-t-il ajouté.
La Cédéao doit à nouveau se réunir jeudi, quelques jours après l’expiration, dimanche, de l’ultimatum adressé aux putschistes le 30 juillet, qui exigeait le rétablissement dans ses fonctions du président Mohamed Bazoum. La menace d’une intervention militaire n’a pas été mise à exécution, les Etats d’Afrique de l’Ouest semblant préférer la voie du dialogue. Dans la région, plusieurs voix ont alerté sur les risques d’une telle intervention, pour le Niger mais également pour ses voisins.
Des inquiétudes au Nigeria
La Cédéao est actuellement dirigée par Bola Ahmed Tinubu, président du Nigeria. Le chef d’Etat est ainsi porteur de l’ultimatum fixé par le bloc ouest-africain aux putschistes. Et l’armée de ce pays – le plus peuplé d’Afrique – serait en première ligne en cas d’intervention militaire. Mais ces derniers jours, des élus et figures politiques nigérians ont fait part de leurs craintes face à cette perspective. Le Sénat nigérian a appelé samedi le président à « encourager les autres dirigeants de la Cédéao à renforcer l’option politique et diplomatique ». D’après des médias nigérians, des sénateurs se sont opposés, lors d’une réunion à huis clos, à une intervention armée contre les putschistes.
La veille, des sénateurs des régions du nord du Nigeria, frontalières du Niger, avaient alerté sur les potentielles « graves implications » d’un « recours à la force militaire ». « Les victimes seront des citoyens innocents qui vaquent à leurs occupations quotidiennes », s’est inquiété le Forum des sénateurs du Nord dans un communiqué. Pour les élus de ces régions aux liens culturels, commerciaux et sociaux forts avec le sud du Niger, une telle intervention viendrait déstabiliser ces territoires déjà pauvres et fragilisés par des groupes armés. Des inquiétudes partagées par une coalition des partis d’opposition au Nigeria, The Coalition of United Political Parties (la Coalition des partis politiques unis). « Le Nigeria ne peut pas se permettre de gaspiller ses ressources qui s’amenuisent et les vies précieuses de nos soldats dans une guerre inutile », défend-elle dans un communiqué.
Pour ces partis, une intervention risque aussi de « plonger l’économie fragile du Nigeria dans une crise encore plus profonde ». L’arrêt des subventions sur le carburant dans le pays a récemment provoqué une forte hausse des prix des carburants et des produits alimentaires, souligne Jeune Afrique.
Pour l’Algérie, « tout le Sahel s’embrasera »
Autre pays limitrophe du Niger, l’Algérie a exprimé directement son rejet d’une intervention de la Cédéao au Niger. Une telle décision « est une menace directe pour l’Algérie. Nous refusons catégoriquement toute intervention militaire », a déclaré le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors d’une interview télévisée samedi. Le dirigeant a rappelé que l’Algérie « partage près d’un millier de kilomètres » de frontière avec le Niger.
Un recours à la force pour déloger les putschistes aurait selon lui des conséquences dramatiques pour toute la région. Les juntes au Mali et au Burkina Faso ont déjà fait part de leur solidarité envers les putschistes au Niger et ont annoncé qu’une intervention serait « une déclaration de guerre » à leur encontre. « Deux pays [le Mali et le Burkina Faso] sont prêts à entrer dans la bataille. (…) Tout le Sahel s’embrasera », a alerté le président algérien. Le risque est celui d’« une guerre parmi les plus meurtrières de la sous-région », s’est à son tour inquiété Thierno Alassane Sall, ancien ministre et député d’opposition sénégalais cité par Le Monde.
Des spécialistes du Sahel s’inquiètent également de voir une telle intervention profiter au terrorisme. « Une guerre de plus au Sahel n’aura qu’un vainqueur : les mouvements jihadistes qui, depuis des années, construisent leur expansion territoriale sur la faillite des Etats », alertent des chercheurs dans une tribune pour Libération.
Le risque d’une guerre civile au Niger ?
Dans cette même tribune, les chercheurs exposent que « le risque pour le Niger n’est pas seulement d’être exposé à une intervention militaire extérieure, mais aussi de sombrer dans la guerre civile compte tenu de la polarisation actuelle des camps politiques que ne ferait qu’enflammer l’intervention extérieure ». Pour ces spécialistes, « répondre par la guerre (…) n’aura d’autres effets que de renforcer les soutiens populaires envers les putschistes et, partant, leur accaparement du pouvoir ».
Dimanche, le stade de Niamey (Niger), de 30 000 places, a réuni de nombreux soutiens des militaires ayant renversé Mohamed Bazoum fin juillet. « Au fur et à mesure que l’ultimatum approche, on voit que la junte arrive à travailler l’opinion publique nigérienne. Il y a des adhésions au jour le jour », constatait dimanche sur BFMTV Ousmane Ndiaye, rédacteur en chef Afrique à TV5 Monde. « Avant-hier, le syndicat des étudiants a annoncé soutenir les putschistes, les syndicats des enseignants et des universitaires aussi », a-t-il ajouté.
Des défis militaires pour la Cédéao
Si une intervention militaire est lancée pour libérer le président Bazoum et le ramener au pouvoir au Niger, les défis seront conséquents pour la Cédéao, notamment en termes de moyens militaires. Ce type d’opération s’annonce « extrêmement délicat », décrypte auprès de Libération Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Cela réclame des compétences de type forces spéciales et une capacité d’intervention aérienne sur Niamey. Or, les armées de l’Afrique de l’Ouest cumulent les difficultés sur le plan matériel et sont orientées sur la sécurisation de leur propre territoire, et non pas sur une gestion de crise à l’extérieur de leurs frontières. »
Pour le chercheur, il faudrait pour cette intervention « que chaque pays envoie des contingents nationaux en urgence, comme l’a proposé le Sénégal, dans le cadre d’une coalition avec une forme de mandat politique ». Mais de l’avis d’Elie Tenenbaum, « il est difficile d’imaginer une opération pensée, planifiée et commandée par un état-major commun qui n’existe que sur le papier ».