Un sixième patient atteint du VIH est en phase de rémission après avoir reçu une greffe de moelle osseuse. Son cas a été présenté jeudi 20 juillet à Brisbane (Australie), en amont de la conférence de l’International AIDS Society qui s’ouvrira dimanche.
Mais à la différence des cinq premières personnes déjà considérées comme probablement guéries du VIH – elles avaient reçu une greffe de moelle osseuse et des cellules souches de donneurs qui avaient naturellement une mutation génétique très rare empêchant le virus d’entrer dans les cellules –, la donne est différente pour « le patient de Genève », nom donné à cet homme suivi et soigné dans la ville suisse.
Ce patient de 49 ans, atteint du VIH et d’une leucémie, a bénéficié en 2018 d’une greffe de cellules souches d’un donneur non porteur de la fameuse mutation rare d’un gène dit « CCR5 delta 32 ». Franceinfo fait le point sur cette découverte et ce qu’elle peut changer (ou pas) pour l’épidémie de VIH, alors que l’ONU a jugé, dans un rapport publié le 13 juillet, qu’il était « possible » de mettre fin à cette épidémie comme menace de santé publique en 2030.
Parce que la rémission du « patient de Genève » est un cas « exceptionnel »
En plus d’être atteint du VIH, le « patient de Genève » était atteint d’une leucémie, comme les cinq autres patients avant lui, ce qui a nécessité une greffe de moelle osseuse. Les résultats de cette opération lourde « permettent de trouver de nouvelles pistes de recherche », s’est félicité Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur qui a suivi le patient, jeudi en conférence de presse. « C’est un cas exceptionnel, mais ce n’est pas une stratégie extrapolable aux près de 40 millions de personnes qui vivent avec le VIH », a-t-il rappelé. C’est aussi l’avis du professeur Olivier Bouchaud, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
« C’est une bonne nouvelle, mais c’est malheureusement anecdotique. Ces greffes concernent six cas de possible guérison sur 39 millions de malades. »
Olivier Bouchaud, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Avicenne de Bobigny
à franceinfo
Selon ce spécialiste, soigner les personnes infectées grâce à une greffe de moelle osseuse et un suivi antirétroviral est impossible et « la balance bénéfices-risques pencherait côté risques avec des effets indésirables graves et fréquents ».
Alors que plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette rémission, le possible rôle des traitements immunosuppresseurs (utilisés pour éviter le rejet d’une greffe) est un motif d’espoir. « Il est possible qu’il y ait un effet du traitement immunosuppresseur sur le virus. Il pourrait avoir rendu les cellules du patient non infectables », juge le professeur Olivier Bouchaud.
Parce qu’on ne parle pas encore de « guérison » mais bien de « rémission »
La longue rémission du patient, qui a arrêté son traitement antirétroviral en novembre 2021, est jugée encourageante par la communauté scientifique. Mais il est hors de propos d’évoquer une guérison, caractérisée par le fait que « le nombre de cellules infectées a drastiquement diminué et qu’on n’est plus capable de les détecter », selon Asier Sáez-Cirión, de l’Institut Pasteur. De précédentes greffes de cellules souches « lambda » ont déjà échoué par le passé, car les patients ont rechuté. « Un seul virion [une particule virale infectieuse] peut entraîner un rebond du virus », rappelle auprès de l’AFP Sharon Lewin, présidente de la conférence de l’International AIDS Society.
« Il faut plus de temps et de recul pour parler de guérison », explique à franceinfo Fabrice Pilorgé, directeur du plaidoyer à l’association Aides. « Et si on parle de guérison, tout le monde va croire qu’on guérit du VIH, ce qui n’est pas le cas. » Il juge que « les cas de rémission du VIH sont un espoir pour la recherche, mais pas la solution. »
Parce qu’il n’existe ni vaccin ni traitement définitif à ce jour
La science avance, mais le constat est toujours le même. « Il n’existe ni vaccin préventif, ni vaccin curatif et aucun médicament pour guérir complètement les malades », rappelle le professeur Olivier Bouchaud. Selon l’ONU, 39 millions de personnes vivaient avec le virus à travers le monde en 2022.
« Il faut intensifier le dépistage afin que ceux qui vivent avec le VIH accèdent aux traitements et ne transmettent pas le virus », alerte Fabrice Pilorgé, de l’association Aides. Les traitements actuels sont les trithérapies et la PrEP (pour « prophylaxie pré-exposition »), un traitement préventif qui permet à une personne séronégative exposée au VIH de se protéger en prenant un traitement antirétroviral.
Parce que les financements semblent limités pour un accès aux soins à l’échelle mondiale
Pourra-t-on vaincre l’épidémie de VIH d’ici à sept ans ? Selon l’ONU, ce défi est possible avec un engagement politique fort et des choix financiers. « On n’a jamais été aussi proches d’y arriver, mais les Etats lèvent le pied, le VIH est moins une priorité qu’avant. On a besoin de financements, et ils ont stagné ces dernières années », regrette Fabrice Pilorgé, d’Aides. « Le financement de la lutte contre le VIH a reculé en 2022, aussi bien pour les sources nationales qu’internationales, retombant au même niveau qu’en 2013 », note ainsi l’ONU dans son rapport publié le 13 juillet.
« La fin [de l’épidémie] vers 2030 me semble compliquée », a aussi jugé sur franceinfo le professeur Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites et les maladies infectieuses émergentes (ANRS). « Le Covid-19 a fait prendre du retard, sur le dépistage de la maladie et pour se faire traiter. »
La transmission du VIH se heurte également à des inégalités et disparités. Alors que le nombre de personnes sous traitement antirétroviral dans le monde est passé de 7,7 millions en 2010 à 29,8 millions en 2022, l’ONU rappelle que huit pays d’Afrique subsaharienne concentrent 65% des personnes séropositives. Par ailleurs, 143 pays criminalisent ou poursuivent l’exposition au VIH, la non-divulgation du statut sérologique ou la transmission du virus, rappelle l’ONU (lien PDF). Or, selon l’organisation, « il est prouvé que les lois punitives entravent l’accès aux services anti-VIH et augmentent le risque d’infection au VIH ».
Francetvinfo.fr