Routes bloquées, pneus incendiés… A Sfax, des violences ont à nouveau éclaté dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5 juillet. Dans plusieurs quartiers de cette ville de la côte est de la Tunisie, des centaines de personnes se sont réunies pour réclamer le départ immédiat des migrants clandestins.
Le feu de la révolte s’est embrasé lundi, après la mort d’un habitant, poignardé au cours d’affrontements avec des migrants originaires du Cameroun, selon les autorités tunisiennes. Trois migrants soupçonnés d’être impliqués dans ce meurtre ont été arrêtés, a annoncé le parquet de Sfax lundi. Depuis, les nouveaux arrivants sont la cible des habitants et des forces de l’ordre. Franceinfo revient sur le climat tendu qui règne dans cette grande ville portuaire au bord de la Méditerranée.
Des rues « transformées en champ de bataille »
Des affrontements à coups de jets de pierres ont opposé dès dimanche des migrants subsahariens à des habitants de Sfax. Des véhicules et des logements ont été endommagés. Les forces de l’ordre ont depuis multiplié les interpellations de clandestins. Sur une vidéo filmée lundi et vérifiée par Les Observateurs de France 24, une foule de riverains en liesse applaudit des policiers en train d’interpeller des migrants à leur domicile. « Vive la Tunisie ! Sfax n’est pas une colonie. Dégagez, dégagez ! Rentrez chez vous ! », s’exclame celui qui tient la caméra.
« Les rues sont transformées en champ de bataille, des blessés graves aussi bien Tunisiens que migrants subsahariens, incendies, agressions, braquages et des forces de police impuissantes ! », a déploré lundi sur Facebook Franck Yotedje, directeur de l’association Afrique intelligence, qui œuvre pour la défense des droits des migrants.
Lazhar Neji, urgentiste dans un hôpital de Sfax, a lui déploré « une nuit inhumaine » et « sanglante » mardi, sur la page du groupe Facebook intitulé « Sayeb Trottoir », dédié à la question de l’immigration clandestine. Selon lui, l’hôpital a accueilli entre 30 et 40 migrants, parmi lesquels des femmes et des enfants. « Certains ont été jetés de terrasses, d’autres agressés avec des sabres », a-t-il affirmé.
« Beaucoup sont livrés à eux-mêmes, ils ont été chassés de leur logement et se retrouvent à vivre dans la rue, sans aucune aide associative », a rapporté jeudi Lilia Blaise, correspondante en Tunisie pour France 24. Certains confient « ne pas avoir à manger et vivre dans un parc, ou même dans les rues de Sfax ».
Des migrants reconduits de force vers la frontière libyenne
Dans un communiqué conjoint, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), qui suit les questions migratoires, et plus de vingt autres ONG tunisiennes et internationales ont affirmé que les forces de sécurité avaient emmené mardi un « groupe de 100 personnes migrantes et réfugiées » de la région de Sfax vers la frontière libyenne. « Le groupe comprend plusieurs nationalités, notamment ivoirienne, camerounaise et guinéenne, dont au moins douze enfants âgés entre 6 mois et 5 ans », précisent-ils.
Certains migrants ont été « battus et maltraités », ont ajouté les ONG, qui appellent les autorités tunisiennes à « donner des clarifications sur ces faits et (à) intervenir en urgence pour assurer une prise en charge de ces personnes ». D’après les témoignages recueillis par Le Monde, des migrants ont été déposés sur une plage au milieu du désert, dans la zone frontalière entre la Libye et la Tunisie. Des hommes, mais aussi des femmes et des enfants étaient toujours amassés sur ce banc de sable mercredi, selon une vidéo reçue par le quotidien.
Un climat hostile aux migrants depuis plusieurs mois
La colère des habitants de Sfax vis-à-vis des migrants gronde depuis des mois déjà. Romdhane Ben Amor, responsable de la communication pour le FTDES, a confié à l’AFP que la tension actuelle dans la ville portuaire était « attendue ». « Ce déchaînement de violences est dû à plusieurs mois d’attente. Les Sfaxiens attendent que l’Etat intervienne », analyse Mohamed Farhat, grand reporter en Tunisie pour France 24. La ville compte « des milliers de migrants clandestins subsahariens, car c’est une plaque tournante de l’immigration », poursuit le journaliste. La plupart des candidats à l’exil y viennent pour tenter ensuite de rejoindre l’Europe par la mer, en débarquant sur les côtes italiennes.
Les tensions entre les habitants et les migrants se sont exacerbées après un discours en février du président tunisien, Kaïs Saied. Ouvertement hostile à l’immigration, il l’avait qualifiée de menace démographique pour son pays. Mardi, le dirigeant tunisien a affirmé que son pays « n’accepte pas sur son territoire quiconque ne respectant pas ses lois, ni d’être un pays de transit [vers l’Europe] ou une terre de réinstallation pour les ressortissants de certains pays africains ».
Pour échapper aux violences et aux arrestations, « des centaines de Subsahariens font la queue pour prendre le train. Il y a une fuite de la ville de Sfax après ces nuits de chaos », relate le journaliste Mohamed Farhat.