Evguégni Prigojine marchait sur Moscou, le voici débarqué à Minsk. Le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, a confirmé l’arrivée du mercenaire dans la capitale, mardi 27 juin, deux jours après la démonstration de force de Wagner en Russie. Le dictateur avait accepté d’accueillir le leader du groupe paramilitaire, samedi, dans le cadre de l’accord qui avait mis un terme à la folle marche des combattants armés en Russie.
Mardi matin, un avion d’affaires Embrayer 600 a atterri à l’aérodrome militaire de Matchoulichtchi, selon les informations du groupe de surveillance Belarusian Gayoun. Minsk n’a pas confirmé si le leader du groupe Wagner était arrivé à bord de ce vol ou d’un autre. Le dictateur biélorusse espère désormais que leurs commandants de Wagner pourront aider ses forces armées à gagner en « expérience ». Il n’y a, selon lui, rien à craindre de leur venue sur le territoire biélorusse. « Cela ne me dérangerait pas d’avoir une telle unité dans l’armée », a même enchéri le ministre de la Défense, Viktor Khrenin, cité par l’agence officielle Belta.
La veille, lors d’une allocution de cinq minutes, le président Vladimir Poutine avait offert aux combattants wagnérites la possibilité de partir pour la Biélorussie, « de rentrer dans leurs familles », ou de signer un contrat avec le ministère de la Défense russe ou les forces de l’ordre. Le pays voisin, en tout cas, semble disposé à accueillir ces hommes.
« Nous ne construisons pas encore de camp » pour les combattants de Wagner, a précisé Alexandre Loukachenko. Il ajoute que ces soldats, qui se trouvent pour l’instant toujours dans la région ukrainienne occupée de Louhansk, pourraient prendre leurs quartiers dans des secteurs désaffectés, avec le concours des autorités. La veille, le média indépendant Viorstka avait rapporté que des camps de base étaient sur le point d’être dressés. Plus de 8 000 lits, selon cette source, étaient déjà prévus pour le futur centre d’Assipovitchy, une ville située à 200 kilomètres de l’Ukraine.
Selon Alexandre Loukachenko, toujours, il n’est pas certain que des centres de recrutement Wagner voient le jour dans le pays. Il a surtout assuré que ces combattants ne seraient jamais en charge de la surveillance des armes nucléaires tactiques, qui sont transférées sur le territoire depuis la Russie. « C’est notre mission », aux côtés des Russes, « et je suis le responsable principal de la sécurité des armes ».
Prigojine et Loukachenko, de vieilles connaissances
La future mission de Wagner dans le pays reste donc à définir. Samedi soir, Alexandre Loukachenko avait fait savoir que le groupe pourrait poursuivre ses activités dans son pays, « sur une base légale ». Et le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait annoncé qu’Evguéni Prigojine ferait ses valises pour la Biélorussie, offrant la parole du président russe pour seule garantie.
Il avait alors souligné la proximité du dictateur et du mercenaire, assurant que ceux-ci se connaissaient « depuis vingt ans ». L’ancien patron de l’audiovisuel public bélarusse assure que les deux hommes se sont rencontrés en 2002, sur le restaurant flottant dirigé par le futur mercenaire. Un lieu situé en plein Saint-Pétersbourg, où se rencontre tout le gratin politique et affairiste. Mais il est difficile de mesurer la nature réelle de leurs relations.
Celles-ci n’ont d’ailleurs pas toujours été au beau fixe. En juillet 2020, 33 combattants de Wagner avaient été arrêtés dans un hôtel de Minsk, accusés de vouloir déstabiliser le pays pendant la campagne présidentielle, rapportait alors l’agence d’Etat Belta. L’occasion, pour le président Alexandre Loukachenko, de marquer son territoire face au grand pays voisin. « Nous avons de bonnes relations. Je l’appelle Genia [diminutif d’Evguéni] », avait tout de même déclaré le dictateur au sujet de Prigojine, malgré cet épisode. « Je ne lui souhaite que le meilleur », avait de son côté répliqué le mercenaire, peu rancunier.
Au début de l’année, une masse de Wagner, l’un des emblèmes du groupe paramilitaire, avait été exposée dans son étui à violon, lors d’une exposition patriotique à Minsk. Ce sinistre symbole des crimes de guerre avait été dédicacé par un certain « Bes » – indicatif d’appel de Nikolai Boudko, un commandant biélorusse du groupe Wagner, rapporte le média indépendant Reform.by. Cet homme est notamment connu pour avoir donné l’ordre d’exécuter un Syrien en 2017, torturé et décapité, les membres écrasés avec une masse.
La Biélorussie, pour autant, ne semble pas avoir été liée à Wagner jusqu’à présent. À court terme, Alexandre Loukachenko entend faire fructifier son rôle dans les négociations lors de la marche de Wagner. La Douma russe a d’abord ouvert sa séance, mardi, par des applaudissements à son endroit et à celui de Vladimir Poutine. Le président biélorusse, il est vrai, a donné de nouveaux gages de loyauté envers Moscou. Et ensuite ? « Le seul avantage que pourrait tirer le dirigeant biélorusse serait d’utiliser les hommes de Prigojine comme une armée personnelle contre une éventuelle révolte », précise à l’AFP Katia Glod, de l’European Leadership Network à Londres.
L’arrivée du mercenaire a, en tout cas, le parfum de l’exil. Vladimir Poutine a déclaré que le groupe Wagner avait reçu 86 milliards de roubles (920 millions d’euros) entre mai 2022 et mai 2023. Mais également que le « propriétaire de la société de restauration Concord », à savoir Evguéni Prigojine, avait gagné plus de 80 milliards de roubles dans des contrats avec une société filiale du ministère de la Défense. « J’espère que personne n’a rien volé, mais nous nous occuperons de tout », a déclaré le président russe. Histoire, sans doute, de lancer un dernier avertissement à son ancien cuisinier.