Tierno Monénembo-Les ailes brisées de l’Afrique
19 juin 2023
Je suis de cette génération qui dans l’euphorie des Indépendances a vu naître Ghana Airways, Air Guinée, Air Afrique, Nigeria Airways, Air Algérie, Kenya Airways etc. Des compagnies aériennes africaines, enfin des avions bien à nous ! L’avion dans nos têtes de gamin cela voulait dire liberté, modernité, deux mots qui allaient très bien avec notre souveraineté naissante ! D’ailleurs, nous vivions une époque qui prenait des ailes, si l’on ose s’exprimer ainsi. Mac Douglas venait de sortir le DC8, le premier avion de ligne à réaction et Youri Gagarine venait de réaliser son exploit spatial. Les machines volantes ne fascinaient pas que nous les collégiens, c’est le monde entier qui rêvait de planer.
Je me souviens avoir vu en 1962, au cinéma Vox de N’Zérékoré, le célèbre haïtien, Docteur Price-Mars, muni de fusées en cartons, expliquer à une salle remplie à moitié de paysans analphabètes, comment fonctionne un spoutnik et clamant, urbi et orbi : « Bientôt les Noirs auront leurs propres fusées ». C’était une époque où tout était possible, même les rêves les plus fous. Hélas, on est loin du compte. Non seulement, l’Afrique n’a toujours pas sa fusée mais la plupart de ses compagnies aériennes ont disparu sous l’effet bien connu de la gabegie. Si l’on excepte quelques petites compagnies qui apparaissent et disparaissent ici et là, au gré des circonstances, seules Ethiopian Airlines, Kenya Airways, South African Airways, Royal Air Maroc, Egyptair, Tunis Air, et Air Algérie tiennent véritablement le coup.
On se demande après ça pourquoi l’Afrique ne décolle pas. Eh bien, parce qu’elle n’a pas encore trouvé ses ailes. « Le communisme, c’est les Soviets plus l’électricité », disait Lénine. Dommage qu’aucun de nos dirigeants n’ait songé à le parodier : « Le développement, c’est les transports plus l’électricité ».
Tierno Monénembo
Source : Le Point