Sur les traces de Papa Fofana, énigmatique et tout-puissant conseiller spécial de Mamadi Doumbouya
30 mai 2023
En accédant au pouvoir, le chef de la transition guinéenne Mamadi Doumbouya a nommé à ses côtés une de ses connaissances de longue date surnommée Papa Fofana. Proche conseiller du colonel et rouage clé de la présidence, cet homme au passé sinueux orchestre une myriade de dossiers stratégiques tout en tissant sa toile au sein de l’administration du pays.
Une nomination à son image, discrète, voire quasi secrète. Seuls quelques initiés gravitant dans le premier cercle du chef de la junte, Mamadi Doumbouya, ont été mis dans la confidence. C’est tout juste arrivé au pouvoir, en septembre 2021, que le colonel putschiste a fait de l’homme d’affaires Fodé Amadou Fofana son conseiller spécial. Pas de communication officielle ni de décret présidentiel pour celui que la gentry politico-militaire appelle « Papa Fofana ».
Depuis, celui qui se définit auprès d’Africa Intelligence comme un « conseiller informel n’ayant rien d’officiel » reçoit dans son bureau de fonction lové dans un immeuble gouvernemental, à une encablure du palais Mohammed V, le quartier général du chef de l’Etat. Aucune plaque à l’entrée mais des soldats du Groupement des forces spéciales montent la garde devant la pièce sans faste encombrée de dossiers sensibles.
Approvisionnement gazier
Ces derniers mois, Papa Fofana s’est retrouvé au cœur d’un imbroglio énergétique majeur concernant l’importation de gaz butane. Le gouvernement de transition cherche à stabiliser l’approvisionnement de cette ressource à usage domestique : l’idée est de l’ériger en substitut du bois et du charbon, dont la consommation accentue la déforestation. Un marché historiquement trusté par la firme mauritanienne SKI.Sa, qui assure l’essentiel de la distribution dans le pays via sa filiale Guinée Gaz. Or ses prix sont jugés trop élevés par la nouvelle administration, qui cherche à réduire sa dépendance à cet acteur implanté sous l’ère du président déchu Alpha Condé (2010-2021).
Cette stratégie de diversification est portée par Kaman Sadji Diallo, directeur du Fonds d’appui à la promotion des gaz (Fapgaz-SA). En quête de nouveaux fournisseurs, ce dernier se heurte néanmoins à l’hostilité de la société mauritanienne, qui détient encore de puissants relais au sein du port autonome de Conakry. Kaman Sadji Diallo soupçonne SKI.Sa d’avoir usé de ses réseaux pour bloquer la livraison d’une cargaison de 400 tonnes de gaz butane en février. En provenance d’Europe, le tanker est resté plusieurs jours au large de la capitale guinéenne, sans pouvoir accoster. Démuni, le directeur du Fapgaz-SA s’est alors tourné vers Papa Fofana afin de débloquer la situation. Usant de son influence auprès du chef de l’Etat, l’homme de l’ombre a obtenu que le navire puisse amarrer sans encombre et livrer sa cargaison.
Depuis peu, Papa Fofana s’est lancé dans la diplomatie avec une attention particulière pour l’Arabie saoudite. N’étant aucunement attaché au ministère des affaires étrangères, il n’obéit qu’au président Doumbouya qui l’a mandaté pour renforcer les relations avec les pays du Golfe. Fin 2022, c’était sous la fonction d’envoyé spécial du chef de l’Etat qu’il s’était rendu pour la première fois à Riyad, aux côtés du directeur de protocole de la présidence, Ahmed Sekou Coumbassa, dit « Ahmed Durac ». Le missus dominicus s’y était entretenu avec le vice-ministre saoudien des affaires étrangères, Waleed bin Abdulkarim al-Khuraiji.
A l’affût de capitaux pour financer ses besoins en infrastructures, Conakry s’efforce de soigner sa relation avec le royaume de Mohammed bin Salman, où la Guinée ne dispose plus d’ambassadeur depuis février 2022. Ces premiers efforts permettent d’engranger des résultats : trois semaines après la visite de l’éminence grise du président Doumbouya, le Fonds saoudien pour le développement (FSD) et l’Etat guinéen ont signé un mémorandum d’entente prévoyant un don de 8 millions de dollars afin, notamment, de financer des forages de puits d’eau potable. Un projet particulièrement cher au chef de la transition guinéenne, qui avait également missionné son ministre de l’économie, Moussa Cissé, afin de le faire aboutir.
Mainmise sur les fonds anti-pauvreté
Le nom de Papa Fofana est aussi apparu en lien avec la très stratégique Agence nationale d’inclusion économique et sociale (Anies). Constitué en 2019 par l’administration du président Alpha Condé, cet organe censé lutter contre la pauvreté est actuellement dans le viseur de la justice guinéenne. Des caciques de l’ancien régime sont suspectés d’avoir détourné près de 5 millions de dollars des caisses de l’agence. Parmi eux, l’ancien premier ministre Ibrahima Kassory Fofana est incarcéré à la Maison centrale de Conakry dans l’attente de son procès pour corruption et enrichissement illicite.
En mai 2022, Papa Fofana est nommé administrateur de l’Anies dans un décret mentionnant pour la première fois son rattachement à la présidence. Parmi les fonds auxquels l’agence a accès figurent notamment 25 millions de dollars récemment décaissés par le FMI pour aider la Guinée à faire face à la crise alimentaire mondiale. Une manne financière à la hauteur de l’importance du personnage, qui traite en direct avec le président, souvent à l’insu des ministres.
Vieille connaissance du colonel Doumbouya
A Conakry, l’ascension soudaine de Papa Fofana étonne, voire irrite, tout comme ses fréquents déplacements à l’étranger. L’homme a été aperçu ces derniers mois aux Emirats arabes unis et en Suisse. Un fait qui intrigue dans les sphères du pouvoir, où on lui prête un penchant pour les montages financiers, si possible offshore. Interrogé sur un récent séjour à Genève, le conseiller du président argue avec amusement « avoir de la famille à visiter ».
Peu de gens connaissent ses liens avec le chef de la junte, et plus rares encore sont ceux qui osent questionner la genèse de cette histoire démarrée bien avant le coup d’Etat. Sous la présidence d’Alpha Condé, Papa Fofana a tissé de solides relations d’interdépendance avec des politiciens, des militaires et des hauts fonctionnaires. A la tête d’Impact Africa, sa société spécialisée dans le BTP et la logistique minière, il a réhabilité les installations de plusieurs entreprises étrangères, parmi lesquelles la Société minière de Dinguiraye (SMD), possession du russe Nordgold, ou encore la Société aurifère de Guinée (SAG), filiale de la firme sud-africaine Anglogold-Ashanti. Il a raflé en parallèle plusieurs contrats publics et s’est imposé comme un partenaire privilégié de l’administration Condé pour la construction de routes dans le nord du pays.
Après plus d’une décennie passée en Europe, Mamadi Doumbouya, nommé à la tête des forces spéciales en 2018, s’est tourné vers cet entrepreneur à succès pour étoffer son réseau dans les cercles du pouvoir de Conakry. Papa Fofana a été l’un des premiers à miser sur l’ancien caporal de la Légion étrangère française. L’homme d’affaires multicarte l’a introduit dans certains des réseaux politico-économiques les plus élitistes et a soutenu ses projets auprès du ministère de la défense. Comme la rénovation, en 2018, du camp des forces spéciales à Kaleya, dans la région de Kindia, que Papa Fofana a réalisé à travers Impact Africa. « Un petit contrat d’une valeur d’un milliard de francs guinéens (soit 107 000 €) », minimise l’intéressé.
De fil en aiguille, le business s’est conjugué à une amitié naissante et sincère entre les deux hommes qui partagent un goût pour le secret et le pouvoir. Papa Fofana a même mis l’une de ses villas du quartier de la Minière à la disposition du colonel des forces spéciales qui s’imposait progressivement comme une figure singulière de l’armée guinéenne.
Fils de notable
S’ils ont tous deux grandi à Kankan, traditionnel fief malinké situé dans le nord-est du pays, le chef de la transition et son éminence grise ont néanmoins des parcours qui diffèrent en de nombreux points. A la différence de Mamadi Doumbouya, dont l’enfance fut modeste, Papa Fofana est issu de la bourgeoisie commerçante guinéenne.
Son défunt père, Souleymane Fofana, était un homme d’affaires dont les activités avaient prospéré dans l’agroalimentaire puis l’immobilier en Guinée. Grâce aux bénéfices de son entreprise Fresco, spécialisée dans la distribution de crème glacée, il avait pu investir dans plusieurs projets hôteliers, notamment à Siguiri. A Kankan, il a notamment fait construire l’établissement Bâté, l’un des plus anciens et célèbres hôtels de la ville, prisé par les diamantaires, les miniers, les politiques ou encore les diplomates de passage.
La famille a également cultivé son entregent au sommet de l’Etat : Ansoumane Fofana, l’oncle de Papa Fofana, a un temps conseillé Alpha Condé sur les questions relatives à la défense et à la pêche. C’est d’ailleurs par son entremise que son neveu rencontrera Mamadi Doumbouya, sous la transition dirigée par le général Sékouba Konaté (2009-2010).
« Erreur de jeunesse »
Loin des pérégrinations européennes du jeune Mamadi Doumbouya, c’est aux Etats-Unis que Papa Fofana s’installe une fois sa scolarité en Guinée accomplie. A la fin des années 1990, il emménage à Philadelphie pour suivre des cours de finance à la Temple University. Une fois son cursus achevé, il se plie aux exigences paternelles et intègre le ministère de l’économie guinéen, où il restera quelques années. Le jeune ambitieux se lasse rapidement de cette vie de fonctionnaire et regagne l’Amérique en 2004. Il se lance alors dans les affaires, notamment les services logistiques pour les miniers opérant en Afrique.
En parallèle, Papa Fofana se fait épingler pour des activités financières illégales. En 2009, à l’aéroport international de Port Colombus (Ohio), les agents de la Transport Security Administration américaine l’interpellent en possession d’une importante somme d’argent liquide et de plusieurs faux passeports. Ceux-ci lui avaient servi à ouvrir des comptes à l’US Bank pour faciliter des opérations de fraude fiscale à l’insu de contribuables américains. L’affaire, transmise à l’United States Secret Service (USSS), puis à la justice, lui a valu un séjour de quelques semaines en prison ainsi qu’une interdiction de séjour dans le pays, encore en vigueur aujourd’hui. « Une erreur de jeunesse », concède-t-il, un brin gêné.
Commission secrète
Ce parcours, tout en chicanes, et cette condamnation judiciaire aux Etats- Unis n’ont néanmoins pas dérangé le président Doumbouya. Et dès les premières semaines de la transition, Papa Fofana a sa place dans l’antichambre du pouvoir. Il fait ainsi partie d’une commission informelle, mise en place par le colonel Doumbouya en septembre 2021 pour sélectionner des profils de futurs ministrables.
On y trouve Djiba Diakité, ancien analyste de la Société générale que Doumbouya avait rencontré en France lorsqu’il servait dans les rangs de la Légion étrangère entre 2004 et 2009, et l’influent secrétaire à la présidence, le général Amara Camara. Siègent également au sein de ce très secret cénacle un autre conseiller présidentiel dont la nomination n’a jamais été officialisée, Ousmane Doumbouya, ainsi qu’un ancien haut fonctionnaire des Nations unies, Mohamed Béavogui.
Pour le poste de directeur de cabinet de son gouvernement, Mamadi Doumbouya avait initialement jeté son dévolu sur Papa Fofana mais celui- ci décline l’offre, préférant n’apparaître dans aucun organigramme officiel. Le rôle est finalement endossé Par Djiba Diakité. Une version des faits que l’actuel conseiller présidentiel se refuse cependant à confirmer.
Faiseur de roi
Quant à la fonction de premier ministre de la transition, elle échoit à Mohamed Béavogui. Favorable à une forme de continuité, Papa Fofana se heurte rapidement à la vision de ce technocrate peu connu de la classe politique guinéenne, qui plaide en faveur d’une équipe gouvernementale neuve et dépourvue des hommes de l’ère Condé. « Chacun avait ses propres critères d’appréciation », nuance l’intéressé.
S’il perd certains arbitrages au niveau des ministères, l’ambitieux conseiller parvient néanmoins à obtenir du président que certains cadres du précédent régime, parmi lesquels l’ex-cheffe de cabinet d’Alpha Condé, Djami Diallo, soient réintégrés dans la nouvelle administration. Nommée à la direction juridique de la présidence en décembre 2021, cette dernière est notamment très active au sein des discussions liées au méga-gisement de fer de Simandou.
Collisions au sommet
BTP, diplomatie parallèle, conseil politique… Papa Fofana tire les ficelles que lui laisse volontiers le président Doumbouya, avec la loyauté d’un soldat et le dévouement d’un chambellan au service de son prince. Tandis que le départ de Mohamed Béavogui, limogé en juillet 2022 sur fond de brouille avec le chef de l’Etat, vient asseoir un peu plus son influence, le puissant conseiller a cependant maille à partir avec son homologue Ousmane Doumbouya, qui jouit lui aussi des faveurs du chef de la junte. Cette rivalité a d’ores et déjà eu des répercussions sur un vaste projet de construction de logements sociaux dans la ville minière de Kamsar, dans lequel les deux hommes se retrouvent impliqués.
Alors qu’un contrat pour le pilotage du chantier était sur le point d’être signé avec la société espagnole Tovama, qui avait les faveurs de Papa Fofana, le deal a été bloqué au dernier moment à la suite d’une intervention de l’Agence nationale d’aménagement des infracteurs minières (Anaim). Un revers que les proches de Papa Fofana attribuent à son rival, qui préside le conseil d’administration de cet organisme depuis décembre 2022. Le premier minimise cependant ce différend, affirmant que celui-ci précède l’arrivée d’Ousmane Doumbouya à la tête de l’Anaim.
Alors qu’il doit déjà faire face aux tentatives d’émancipation de certains cadres de l’armée (AI du 19/05/23), ce climat de tensions contraint Mamadi Doumbouya à jouer les équilibristes entre ses deux conseillers aussi stratégiques qu’invisibles. L’avenir de son cabinet en dépend.
Pierre-Elie de Rohan Chabot, Fatoumata Diallo
Africa intelligence