Lil Saako, un gars des bas-quartiers en haut de l’affiche
25 mai 2023
Il a suffi à Lil Saako d’une seule chanson pour devenir une superstar en Guinée. L’auteur et interprète de Zapata revendique aujourd’hui bien plus qu’un tube car le titre constitue pour lui l’acte fondateur d’un nouveau courant musical. Portrait.
Une mélodie simple, une chorégraphie facile à reproduire et puis un gimmick qui rentre immédiatement dans la tête : Zapata ! Les Guinéens découvrent la chanson et son clip le 3 juin 2022 sur Youtube. La vidéo cumule aujourd’hui plus d’un million de vues (une vraie performance en Guinée où Internet reste très cher et où Youtube, gourmand en données mobiles, est un luxe).
A Conakry, des mois après sa sortie, on l’entend encore à tous les coins de rue. Lil Saako ne touche plus terre : « On remercie le bon Dieu de m’avoir donné un hit comme ça. » A bientôt 30 ans, Mouctar Saako, pour l’état civil, est devenu, pour la majorité des Guinéens, « Zapata ». Jusqu’au colonel putschiste Mamadi Doumbouya : « Même le président de la transition, quand il me voit, il ne m’appelle pas par mon nom ! Mais Zapata, c’est juste le titre d’un morceau de mon album ! » raconte l’artiste en souriant.
Engagé, mais apartisan, Lil Saako s’empresse d’ajouter que la femme de l’un des principaux opposants à la junte (Cellou Dalein Diallo, leader de l’UFDG, ndlr) est venue le voir en concert au Bataclan, à Paris. « Vraiment, je remercie le bon Dieu. Cette chanson met tout le monde d’accord, sans distinction. Même les mamans, les grands-mères. Quand je vois les vieilles danser, je suis vraiment choqué.«
Cette musique qui plaît à tous vient de la rue. Des rues embouteillées et turbulentes de Conakry, plus précisément. C’est ici qu’est né et a grandi Lil Saako, dans le quartier populaire de Coléah-centre. C’est ici aussi qu’a vu le jour le faré gnakhi, il y a plusieurs décennies. À la fois genre musical et danse particulièrement physique. Dans Zapata, Lil Saako s’inspire de ce patrimoine guinéen et en fait quelque chose de nouveau, mâtiné d’influences européennes, américaines et africaines.
Un style critiqué
« Ma vocation, c’est de promouvoir la culture, la tradition, la danse guinéennes sur le plan international. » Il repense avec regret à cette époque où, selon lui, son pays influençait le continent, avec les Ballets africains notamment. Si la chanson Zapata et sa chorégraphie ont fait le tour des réseaux sociaux sous la forme d’un challenge et ont même été reprises par les influenceurs les plus connus d’Afrique de l’Ouest, l’accueil des Guinéens fut plutôt froid au début.
« J’ai été beaucoup critiqué, par des artistes, par ceux qui sont devenus des fans aujourd’hui. Les gens ont dit ‘mais Saako il ne doit pas faire ça, il est hip hop, il ne doit pas changer, pourquoi il prend une autre direction alors que c’est à lui de booster la musique urbaine’.«
C’est un évènement inattendu qui a permis à l’artiste de se réconcilier avec son public. Une semaine après la sortie du clip de Zapata, les joueurs de l’équipe de Guinée de football remportaient leur match contre le Malawi. « Tout le monde avait les yeux braqués sur eux et ils ont commencé à danser Zapata« . Il est invité à l’hôtel par la fédération, où il danse avec le capitaine Naby Keïta et ses coéquipiers. « Quand j’ai posté les vidéos, c’était parti. Après, les challenges venaient de partout. »
Il voudrait aujourd’hui que les artistes de son pays se réunissent autour de ce nouveau style, pour se « booster mutuellement » comme l’ont fait les Nigérians avec l’afrobeats. Il dit avoir été validé depuis par le groupe Amatala, par Singleton, Ans-T Crazy et même le duo mythique Banlieuz’Art.
Consécration
Prix spécial du jury aux dernières Victoires de la musique guinéenne, Lil Saako a également été sacré en 2022 Meilleur artiste urbain d’Afrique francophone, lors de la Nuit des Stars Awards qui s’est déroulée au Mali. Sa chanson a même fait le tour du monde lorsqu’un groupe d’acrobates d’origine guinéenne l’a utilisée en demi-finale d’America’s Got Talent.
Auréolé de ce nouveau statut, Lil Saako juge durement la production musicale de son pays : « Les jeunes veulent chanter comme les Jamaïcains, comme les Français, comme les Nigérians, comme les Américains. On ne peut pas te respecter si tu n’es pas original. 80% des artistes urbains ici font du copier-coller. »
Il défend l’exception culturelle guinéenne. « La Guinée a tellement de belles choses à présenter au monde, tellement de danses, tellement de styles musicaux, donc pourquoi ne pas exposer ça sur le plan international, pourquoi ne pas montrer aux gens de quoi on est capable ? »
L’artiste a en tout cas retenu l’attention d’Universal Music France avec qui Lil Saako a annoncé avoir signé un contrat le 14 avril dernier. « Ils vont m’aider à développer ma musique, à faire écouter ma musique là où je ne pouvais pas l’amener. » Lil Saako sait qu’il doit cette ascension fulgurante au titre Zapata. « Je n’avais même pas sorti d’album l’année dernière, et grâce à ce seul morceau j’ai fait une tournée européenne de deux mois. » Il vient tout juste de repartir sur les routes et va enchaîner les scènes jusqu’au 20 août. Après un passage au Mali, il est actuellement en France. Il se rendra ensuite en Belgique, en Italie, et aussi en Suisse.
Premier album solo
Lil Saako est en train de vivre un rêve éveillé, mais quand il se remémore ses débuts, il est un brin nostalgique. Encore adolescent, il est danseur au sein du groupe Instinct Killers. « On était dans des écoles voisines, voire dans les mêmes établissements et les mêmes classes. On faisait des clashs, on faisait des concours de danse entre nous et puis on a continué, on a grandi. »
- Les choses deviennent de plus en plus sérieuses. En 2011, le groupe se met à la musique, Lil Saako chante désormais et forme un duo avec son acolyte Fish Killer. Après quatre albums et plusieurs succès, le groupe décide de lancer ses deux artistes en solo. « Il y a des choses qu’on ne pouvait pas faire parce qu’il faut l’accord de tout le monde. Là, c’est toi qui guides ton album et le groupe te suit. Pour mon album, je leur ai dit : ‘je ne vais pas faire de hip hop carrément, moi je vais créer un truc qu’on va appeler tradi-moderne. Donc, vous allez me suivre, ça va être un nouveau truc’. »
Si chacun des deux chanteurs a été là pour assister l’autre dans son projet personnel, confie Lil Saako, il s’est entouré d’une équipe mise sur pied spécialement pour l’occasion et composée de gens de confiance, de son entourage, « des gens qui ne maîtrisent pas trop le showbizz, mais qui maîtrisent le bas-quartier« .
Plus d’une vingtaine de personnes au total. Il a aussi recruté des danseurs, également une vingtaine. Sur Zapata, c’est « la danse d’abord », martèle Lil Saako. En plus d’avoir écrit les paroles, c’est lui qui a imaginé les chorégraphies. Son premier album solo Nkongni Daakhi (« comme chez moi » en soussou, langue nationale guinéenne, ndlr) sortira début juin, en format physique et digital, sous la bannière d’Universal Music.
Sur ce disque figurera le titre phare Zapata : « Je suis resté dans le même délire parce que j’ai un truc à développer. Ce sera du faré gnakhi. » Mais « pas à 100% ». « Ce sera un album afro-tradi, il y aura des influences européennes, américaines, africaines, mais mixées à la culture guinéenne. »
Presque une année s’est écoulée entre le titre Zapata et l’album, Lil Saako a voulu prendre son temps : « Je suis en mission, je dois toujours faire la différence. » Quatre clips sont déjà prêts et seront publiés sur Youtube, à raison d’un par mois, à partir de la sortie de l’album.