Crise au Soudan : Florent Ibenge raconte son évacuation de Khartoum

Crise au Soudan : Florent Ibenge raconte son évacuation de Khartoum

2 mai 2023 Non Par LA RÉDACTION

« Nous entendions des coups de feu… J’étais incrédule », a-t-il déclaré à la BBC. Sa maison, au centre de Khartoum, se trouve entre le palais présidentiel, cible de tirs fournis depuis l’aube, et l’aéroport, qui venait d’être pris par le groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (RSF).

Les combats devenant de plus en plus intenses, il s’est vite rendu compte qu’il était coincé chez lui, sans aucun moyen de rejoindre sa fille de 14 ans, qui avait quitté la maison tôt comme tous les samedis matins pour aller suivre des cours de natation.

« Elle s’entraîne dans un hôtel situé à une minute de l’aéroport. De chez moi, je pouvais voir l’armée de l’air se diriger vers l’aéroport. C’était horrible parce que vous ne pouvez pas bouger, vous ne pouvez pas aller chercher votre fille. »

Une semaine s’écoulera avant qu’ils ne puissent se retrouver, sur le tarmac de l’aéroport militaire, en pleine évacuation.

Difficile de rester positif

Par chance, puisqu’ils enchaînaient deux matchs dans le même week-end, la plupart de ses joueurs avaient passé la nuit dans l’enceinte du stade d’Omdurman, sur l’autre rive du Nil.

« Le plus difficile est de trouver les mots pour que tout le monde reste positif », déclare Ibenge.

En tant que citoyen français, l’entraîneur a pu bénéficier de l’aide de l’ambassade de France. Lui et sa famille font partie du premier convoi à avoir quitté le Soudan. Mais tout le monde a contribué à l’effort pour faire sortir les gens, a-t-il dit.

« On m’a demandé si je pouvais aider à trouver des bus pour transporter tout le monde au point d’évacuation. On nous a dit que c’était pour Port-Soudan mais à la dernière minute, ils nous ont redirigés vers l’aéroport militaire. »

Les RSF avaient accepté d’escorter les citoyens étrangers jusqu’à leur point de départ.

L'entraîneur Florent Ibenge lors d'un match de Ligue des champions de la CAF, entre Al Ahly (Égypte) et Al-Hilal Omdurman (Soudan)

Une fois rassuré de savoir sa fille plus ou moins en sécurité à l’hôtel, avec assez de nourriture pour manger à sa faim, Ibenge tourna son attention de père vers son équipe et son personnel. Mais son calme et sa sérénité seront mis à rude épreuve.

CRÉDIT PHOTO,AFP

Légende image,L’aéroport de Khartoum, que l’on voit ici avec la fumée s’élevant de l’un des bâtiments, était au centre des combats.

« J’ai d’abord réussi à faire sortir mon entraîneur adjoint de gardiens de but de la zone. Puis un couple de Burundais a contacté ma femme pour lui demander s’ils pouvaient venir chez nous parce que des combattants étaient entrés dans leur maison. »

« Ils avaient forcé l’entrée de sa maison, pistolet sur la tempe, alors qu’il était avec sa femme et son bébé de quatre mois. C’était horrible. Ils sont restés là pendant trois jours avant de pouvoir s’échapper. »

« Il a finalement réussi à appeler ma femme et nous leur avons dit de venir immédiatement. Quand il est arrivé, il ne s’est même pas assis, il est resté affalé pendant des heures. C’était vraiment horrible.

Une fois rassuré de savoir sa fille plus ou moins en sécurité à l’hôtel, avec assez de nourriture pour manger à sa faim, Ibenge tourna son attention de père vers son équipe et son personnel. Mais son calme et sa sérénité seront mis à rude épreuve.

« Nous ne pratiquons pas un sport individuel. Nous pratiquons un sport collectif et parfois la thérapie vient du fait d’être en groupe. Cela peut être une thérapie pour nous tous de nous réunir et de faire ce que nous aimons. »

Les joueurs soudanais, quant à eux, décideront sûrement de rester dans leur pays d’origine. Ibenge devra donc réévaluer la composition de son équipe, ainsi que la forme mentale de ses joueurs, lorsqu’il les retrouvera. Mais son optimisme le pousse à aller de l’avant.

« J’ai vécu cela pendant sept jours. D’autres, en République démocratique du Congo (ndlr : d’où il est originaire), ont vécu cela pendant des décennies. Il ne faut jamais baisser les bras. Il y a toujours des jours meilleurs. »

C’est pourquoi deux jours avant l’opération d’évacuation, sa fille, qui se trouvait encore à l’hôtel où elle s’entraînait à la natation, est montée à bord d’une jeep militaire. Celle-ci la conduira à travers les rues endeuillées et démolies de Khartoum jusqu’à l’ambassade de France.

« C’était un grand soulagement, soupire Ibenge. Jusqu’à ce qu’on se rende compte que les avions de l’armée de l’air auraient pu ouvrir le feu sur cette jeep. Alors là, c’est horrible. »

Après avoir quitté le Soudan par avion, la famille a passé deux jours dans une base militaire à Djibouti avant d’atterrir à Paris, mercredi. Soulagé de se savoir, lui et sa famille, loin des combats et de la guerre, Ibenge n’est pas serein pour autant.

« Nous sommes toujours inquiets pour tous ceux que nous avons laissés derrière nous. À commencer par mes joueurs et tous les Soudanais, qui sont des gens très sympathiques », dit l’entraîneur de football.

Les joueurs d'Al-Hilal Omdurman posent avant un match de la Ligue des champions de la CAF, contre Al Ahly du Caire, le 1er avril 2023, en Égypte.

CRÉDIT PHOTO,EP

Une photo prise en avril d’Al-Hilal, la meilleure équipe du championnat du Soudan

Les joueurs étrangers du club ont tous réussi à quitter Khartoum et sont maintenant à la frontière égyptienne, attendant des visas.

« Dès qu’ils arriveront de l’autre côté, je les rejoindrai avec mes assistants au Caire. Nous y établirons un camp. »

Ibenge dit parler à ses joueurs tous les jours. Et malgré l’épreuve qu’ils traversent, il espère qu’ils pourront jouer leur prochain match de Coupe arabe des clubs champions contre le CS Sfaxien, un club tunisien. Une rencontre initialement prévue en mai.

BBC