Le Monde et Libération ont annoncé dimanche matin l’expulsion de leurs journalistes par le Burkina Faso en dénonçant une mesure « inacceptable » et « arbitraire ». Sophie Douce du Monde et Agnès Faivre de Libération sont arrivées dimanche matin à Paris. Leur expulsion a eu lieu cinq jours après la suspension de la chaîne de télévision France 24 et quatre mois après celle de Radio France internationale (RFI). Seuls des médias français ont pour l’instant été ainsi sanctionnés par les autorités burkinabè.
Selon Libération, « Agnès Faivre et Sophie Douce sont des journalistes d’une parfaite intégrité, qui travaillaient au Burkina Faso en toute légalité, avec des visas et des accréditations valables délivrées par le gouvernement burkinabè ». « Nous protestons vigoureusement contre ces expulsions absolument injustifiées et l’interdiction faite à nos journalistes de travailler en toute indépendance« , ajoute le journal, pour qui ces expulsions confirment « que la liberté de la presse au Burkina Faso est lourdement menacée ».
Le Monde, pour sa part, « condamne avec la plus grande fermeté cette décision arbitraire », en soulignant que « Sophie Douce, comme sa consœur, exerce pour Le Monde Afrique un journalisme indépendant, à l’écart de toute pression ». Le directeur du journal, Jérôme Fenoglio, « demande aux autorités locales de revenir au plus vite sur ces décisions et de rétablir sans délai les conditions d’une information indépendante dans le pays ».
24 heures pour partir
Les deux journalistes avaient été convoquées vendredi à Ouagadougou à la sûreté nationale et ont ensuite reçu l’ordre de quitter le Burkina Faso dans les 24 heures. Avant son départ, Agnès Faivre avait déclaré que cet ordre lui avait été notifié « oralement ». « J’ai également été convoquée hier [vendredi] à la direction de la sûreté de l’État. Puis un officier est venu ce matin [samedi] à mon domicile me notifier verbalement que j’ai 24 heures pour quitter le territoire. Aucune notification écrite, ni motif. J’ai du mal à comprendre et à réaliser », avait pour sa part dit Sophie Douce.
Les autorités burkinabè n’avaient, dimanche matin, fait aucune déclaration sur le sujet. Ces expulsions surviennent quelques jours après la publication par Libération, le 27 mars, d’une enquête sur « une vidéo montrant des enfants et adolescents exécutés dans une caserne militaire, par au moins un soldat » dans le nord du Burkina. Cette enquête « avait évidemment fortement déplu à la junte au pouvoir au Burkina Faso », souligne le quotidien.
« Le gouvernement condamne fermement ces manipulations déguisées en journalisme pour ternir l’image du pays », avait écrit le porte-parole du gouvernement burkinabè, Jean-Emmanuel Ouedraogo, après la publication de cette enquête, assurant que l’armée agit « dans le strict respect du droit international humanitaire ».
France 24, RFI…
Depuis la prise du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre 2022, les relations avec Paris se sont dégradées, Ouagadougou ayant réclamé et obtenu le départ de l’ambassadeur de France et des 400 soldats français des forces spéciales basés dans le pays. Début mars, le Burkina a en outre dénoncé un accord d’assistance militaire signé en 1961 avec la France.
Le lundi 27 mars, le gouvernement de transition a coupé la diffusion de France 24 sur son territoire à la suite du décryptage d’un entretien du chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), quatre mois après avoir également suspendu la diffusion de RFI. Jean-Emmanuel Ouedraogo avait indiqué que ces deux médias étaient accusés d’avoir « ouvert leurs antennes à des leaders terroristes pour qu’ils propagent l’idéologie du terrorisme, de la violence, de la division ».
Le secrétaire général de Reporters sans frontière (RSF), Christophe Deloire, a dénoncé cette double expulsion « arbitraire, scandaleuse, indigne, qui n’est même pas notifiée par écrit publiquement ». « Après le renvoi d’ambassadeur, on est dans une logique du renvoi de journalistes comme s’ils étaient une variable d’ajustement des tensions diplomatiques : c’est absurde », a-t-il ajouté, affirmant que « le régime veut camoufler ses exactions ».
(avec AFP