- En début d’année, la société australienne Predictive Discovery a annoncé qu’elle avait découvert plus de six milliards de dollars de gisements aurifères de qualité “bonanza” en Guinée orientale.
- Une enquête de Mongabay a révélé que les activités d’exploration de la société se sont produites au sein des limites du parc national du Haut-Niger, en violation de la loi qui le régit.
- Le parc abrite environ 500 chimpanzés de l’ouest, l’une des plus grandes concentrations en Afrique occidentale du primate en danger critique d’extinction.
Le 19 juillet, la compagnie minière australienne Predictive Discovery a publié sur son site internet un communiqué de presse stupéfiant. Des gisements d’or de qualité « bonanza » avaient été découverts sur le site d’exploration de Bankan, dans une zone reculée de l’est de la Guinée. Des échantillons du forage ont indiqué que les gisements sont massifs: 3.65 millions d’onces selon les estimations de la compagnie, ce qui représente plus de six milliards de dollars aux prix actuels du marché.
La découverte est venue justifier et conforter la stratégie expansionniste de Predictive Discovery en Afrique de l’ouest. Au cours de ces dernières années, la société a installé toute une série de nouveaux sites d’exploration à travers la Guinée et ses voisins, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Dans les semaines qui ont suivi l’annonce, le cours de l’action de l’entreprise a presque doublé; les investisseurs s’empressant de participer à ce qui semble être l’une des découvertes de mines d’or les plus importantes de l’histoire récente de l’Afrique de l’ouest.
Dans son communiqué de presse triomphal, Predictive Discovery a toutefois omis de préciser que l’emplacement du site de forage, ainsi que les travaux qu’elle y a effectués, sont illégaux.
Le « projet de Bankan » de Predictive Discovery et les permis d’exploration qui le couvrent, se trouvent dans les limites du parc national du Haut-Niger. En 2009, année du dernier recensement dans le parc, l’on comptait environ 500 chimpanzés de l’ouest vivant dans les savanes et les forêts des aires centrales de conservation, appelées forêts de Mafou. « Le PNNH reste l’un des sites avec le plus grand nombre de chimpanzés d’Afrique de l’ouest », ont écrit les auteurs. Le parc de 6.470 km² abrite également des hippopotames, des antilopes et une poignée de lions.
Les gisements d’or découverts par Predictive Discovery se trouvent dans la zone tampon du parc, à moins de 20 km au nord-est de l’aire centrale de conservation. L’article 13 du décret établissant le parc, signé en 1997 par le président d’alors, Lansana Conté, autorise certaines activités agricoles et autres dans la zone et « un usage contrôlé des ressources naturelles renouvelables » – une description étroite qui n’admet pas l’exploitation minière industrielle de l’or.
Dans un entretien avec Mongabay, le directeur local du ministère guinéen de l’Environnement, des Eaux et des Forêts, Sangban Kourouma, a confirmé que Predictive Discovery avait mené ses travaux d’exploration dans les limites du parc.
« Le ministère de l’Environnement n’était pas au courant de la licence délivrée par le ministère des Mines à Mamou Resources, ce qui a créé un problème entre les deux [ministères] », a-t-il déclaré en référence à la filiale locale de Predictive Discovery. « Je confirme qu’ [ils] prospectent dans le parc national. Quand vous prenez la route de Bankan qui va vers Sankaran, tout le côté droit là, de Banfèlè à Faranah, c’est le parc national, donc leur activité est illégale. »
Mamou Resources détient quatre permis d’exploration minière en Guinée. Deux de ces permis se trouvent dans les limites du parc national du Haut-Niger. Un journaliste en mission pour Mongabay a visité le site de travail du projet de Bankan pour s’entretenir avec les personnes vivant dans la zone tampon et pour confirmer les détails des opérations de Predictive Discovery.
« Partout où ils doivent aller, ils coupent des arbres pour faire des routes. Partout où ils pensent qu’il y a de l’or, ils vont avec leurs machines et rasent tout. Nous ne pouvons rien dire, même si nous sommes contre », a déclaré Sékou Sanoh, chef adjoint du district de Bankan.
Le parc national du Haut-Niger couvre une aire composée de savanes ouvertes et de zones de forêts et est scindé en deux par la rivière Niger qui coule sur 4.000 km, traversant le Mali, le Niger et le Nigeria. Les conséquences environnementales de l’exploitation minière industrielle de l’or pourraient être très sévères, car des produits chimiques comme le cyanure sont souvent utilisés pour séparer les gisements d’or des minéraux et des roches qui les contiennent. Le projet Bankan de Predictive Discovery se situe juste à quelques km au sud de la rivière Niger, ce qui fait craindre que la pollution ne soit transportée en aval en cas d’écoulement ou de déversement.
« Si l’eau est contaminée, ce sera désastreux », a déploré un défenseur de l’environnement ayant une bonne connaissance du parc et qui a demandé à ne pas être nommé. « Non pas seulement pour les populations locales, mais aussi pour les autres pays. Il y aura un impact énorme ».
Même si le projet Bankan de Predictive Discovery ne se trouve pas dans les zones centrales de conservation du parc, l’établissement d’un projet industriel de mines d’or au sein de ses limites attirera des travailleurs et des migrants d’autres régions de la Guinée, tandis que de nouvelles routes et infrastructures se développeront autour de ce qui serait alors l’une des plus grandes mines aurifères d’Afrique de l’ouest. Un afflux de nouveaux arrivants et l’augmentation de l’activité minière exerceraient une forte pression sur l’intégrité du parc et accentueraient la possibilité d’incursions dans les zones centrales, y menaçant potentiellement la biodiversité.
Dans un email à Mongabay, un porte-parole de Predictive Discovery a affirmé que les activités de la société respectaient la loi minière de la Guinée et qu’elles avaient le « soutien total des autorités guinéennes ».
« Predictive Discovery s’est toujours engagé à respecter le cadre législatif et réglementaire qui s’applique à toutes les juridictions où il opère et nous sommes très conscients de nos responsabilités envers notre pays d’accueil et ses communautés locales », a déclaré Paul Roberts, directeur général de la société.
Predictive Discovery a assuré avoir « presque achevé » une étude environnementale initiale pour son projet Bankan, sous la supervision du ministère guinéen de l’Environnement, suite à quoi, la société procèdera à une évaluation plus détaillée de l’impact environnemental pour la prochaine étape de ses opérations.
Peu de temps après la demande par Mongabay d’un entretien dans le cadre de cet article, Predictive Discovery a publié un communiqué de presse reconnaissant que le projet Bankan se trouve à l’intérieur des limites du parc et précisant que la société cherche néanmoins de « possibles solutions » pour commencer l’extraction à grande échelle.
« En l’absence d’un changement de décret, la zone tampon numéro 2 du parc national du Haut-Niger reste une aire protégée où l’exploitation minière de gisements n’est pas permise. Mais, il y a eu des précédents en Guinée pour l’octroi de permis d’exploitation minière dans des zones hautement sensibles sur le plan environnemental », a ajouté la compagnie.
Dans les jours qui ont suivi la publication de ce communiqué de presse, le cours de l’action de l’entreprise a chuté en raison des inquiétudes des investisseurs quant au futur du projet.
Selon les documents financiers de Predictive Discovery, l’un de ses principaux actionnaires est la société d’investissement américaine Franklin Templeton, signataire des Principes pour l’Investissement Responsable qui, selon ses propres termes, « aspire à être un leader mondial en matière de gestion et de durabilité ». Franklin Templeton n’a pas répondu à une demande d’entretien.
Le directeur de l’Office des parcs et des réserves de la Guinée, Mamady Sayba Keïta, a déclaré au micro de Mongabay que le gouvernement de la Guinée avait discuté en interne des opérations de Predictive Discovery.
« Il est à noter que Mamou Resources explore mais n’exploite pas, car toute forme d’exploitation est interdite dans la zone de protection intégrale. Nous avons demandé une réunion entre le Ministère des Mines, celui de l’Environnement et le Centre de développement des mines pour clarifier les limites », a-t-il ajouté.
Dans la région et dans le monde, l’exploitation minière et autres projets d’extraction qui ignorent les réglementations environnementales ne datent pas d’hier, et les lois créées pour la protection de la biodiversité et des droits des communautés sont souvent balayées au profit des poignées de mains avec les investisseurs. Predictive Discovery a affirmé à Mongabay qu’elle jouissait de la « connaissance et du soutien de tous les ministères concernés » en Guinée pour ses opérations, malgré le décret de 1997 qui épargne le parc national du Haut-Niger et le réserve pour la conservation et une utilisation locale limitée. La demande de la société pour un permis d’exploitation dans le parc servira de test préliminaire décisif quant aux priorités du nouveau gouvernement de la Guinée, arrivé au pouvoir en septembre suite à un coup d’État militaire.
Le « bonanza » guinéen de Predictive Discovery est symbolique des défis auxquels font face les aires protégées dans le monde. Une faible gouvernance, un manque de financement et l’influence politique des intérêts extractivistes signifient que ces aires sont souvent davantage protégées sur le papier que dans la pratique. Sur une carte, une aire protégée peut être une prouesse impressionnante de préservation de la biodiversité. Mais sur le terrain, les résultats peuvent être beaucoup plus mitigés.
Lors du sommet de la biodiversité de la COP15, les décideurs politiques ont débattu une proposition pour placer 30% de la planète sous une forme ou une autre de conservation, en augmentant le nombre et la portée des aires protégées dans le monde. Mais tant qu’il y aura des fonctionnaires prêts à passer outre les lois et règlements nationaux des parcs, comme c’est actuellement le cas pour le parc national du Haut-Niger en Guinée, l’histoire pourrait demeurer identique, même si les chiffres changent.
Abdoulaye Sylla et Latoya Abulu ont contribué à cet article