L’ex-dictateur guinéen Moussa Dadis Camara a nié ses responsabilités lundi 12 décembre et crié au complot lors de sa première déposition devant le tribunal qui le juge avec une dizaine d’autres sous le regard captivé de tout un pays pour l’effroyable massacre du 28 septembre 2009 dans le grand stade de Conakry.
Le capitaine Camara, sous lequel a été écrite l’une des pages les plus sombres de l’histoire contemporaine de la Guinée qui n’en manque pas, en a appelé à Dieu devant les magistrats : « Si c’est vous qui m’avez donné le pouvoir (…), si j’ai tué au stade du 28-Septembre, Dieu, je ne mettrai pas [le] pied en Guinée, je veux mourir sans que ce jugement-là n’ait lieu. »
Il a dit s’incliner devant la mémoire des victimes. Mais ce n’est pas à lui de demander pardon : « Quel pardon vais-je demander ? », a-t-il précisé au cours de plusieurs heures d’un monologue décousu, dans le style de son extravagante et éphémère présidence.
En dehors du tribunal, Conakry tournait au ralenti. Les habitants de la capitale se sont pressés devant les écrans dans les supérettes ou devant les kiosques pour suivre le moment le plus attendu du procès historique qui s’est ouvert le 28 septembre.
Au moins 156 personnes tuées
Le capitaine Dadis Camara, 57 ans, répond avec une dizaine d’anciens responsables militaires et gouvernementaux d’une litanie de meurtres, actes de torture, viols et autres enlèvements commis le 28 septembre 2009 par les forces de sécurité au stade du 28-Septembre dans la banlieue de Conakry, où s’étaient réunies des dizaines de milliers de sympathisants de l’opposition, et aux alentours.
Les exactions avaient continué les jours suivants. Au moins 156 personnes ont été tuées et des centaines blessées, au moins 109 femmes ont été violées, selon le rapport d’une commission d’enquête mandatée par l’ONU.Article réservé
Le procès tâchera de dire si le capitaine Camara, porté au pouvoir par un coup d’Etat en décembre 2008, a donné l’ordre de briser la contestation, s’il aurait pu au moins empêcher cette abomination ou si, comme il l’affirme, elle a été perpétrée par des hommes échappant à tout contrôle.
Moussa Dadis Camara, en large boubou traditionnel moutarde, a donné le ton dès le début de sa comparution quand le président de la cour, Ibrahima Sory Tounkara, lui a demandé de confirmer qu’il contestait les faits qui lui sont reprochés.
Un soliloque enflammé
« Parfaitement », a-t-il répondu. Puis il a commencé un soliloque enflammé. Soutenant le verbe de la main, Dadis Camara a convoqué les philosophes Héraclite et Emmanuel Kant, les pharaons égyptiens et Napoléon et le souvenir de son père. Il a invoqué à de multiples reprises Dieu et le destin qui ont fait du petit officier d’intendance ce qu’il est devenu.
Pendant les quelques mois de sa présidence, il a œuvré à réconcilier entre eux les Guinéens, gouvernés par des autocrates depuis l’indépendance, a-t-il précisé. Le 28 septembre, il est « resté dans [son] son bureau », alors qu’une partie de ses coaccusés ont été vus prenant part à la répression. Quand il a été informé de ce qui se passait au stade, « furieux », il a voulu s’y rendre pour ramener le calme. Mais son aide de camp, le lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité, alias « Toumba », l’en a empêché, a-t-il assuré.
« Toumba » était bardé de grenades, a-t-il rapporté : « J’ai compris que je ne pouvais pas l’arrêter, il [avait] l’arsenal avec lui. » « Toumba » est peut-être le principal accusateur du capitaine Camara à qui il a tiré une balle dans la tête après le massacre parce que, selon lui, le président voulait lui faire endosser toutes les responsabilités.
Dadis Camara a « préparé » le massacre, a déclaré « Toumba » lors de sa propre déposition. Il l’a aussi sommé de demander pardon. « Au lieu que ce soit moi qui vienne demander pardon, c’est Monsieur Toumba et le général Sékouba qui doivent venir devant votre auguste barre », a répondu Dadis Camara.
« Un complot pour me tuer »
Le général Sékouba Konaté a fait partie de la junte dirigée par le capitaine Camara. Après le massacre et la mise à l’écart de ce dernier sous la pression internationale, il est devenu président de transition. Sous cette présidence s’est tenue en 2010 l’élection présidentielle lors de laquelle l’opposant historique Alpha Condé est devenu le premier président élu lors d’élections libres en Guinée.
« Les événements du 28 septembre [étaient] un complot savamment orchestré pour me faire partir ou me tuer. Par qui ? », interroge le capitaine Camara : « Monsieur Alpha Condé, Sékouba et leur exécutant Toumba Diakité. »
Lui aurait pu rester en exil au Burkina Faso et se soustraire au procès. Mais « la vie d’un homme, c’est quoi ? La vie d’un homme, c’est l’honneur (…), mon honneur en dépendait ». « Certainement beaucoup peuvent penser : “Ah ! Dadis Camara est fou”. Dadis Camara n’est pas fou, Dadis Camara est généreux parce que Dadis Camara reconnaît ses ancêtres. »