
De nombreux Guinéens se sont bousculés au baptême de la petite Kadiza Camara ce 4 janvier, au quartier Lambagny de Conakry, les uns, la rage au poing, les autres, une prière à la bouche. Et pour cause, étouffant sous la misère et sous la répression, ne sachant plus à quel saint se vouer, ils perçoivent ce bébé comme un miracle, un messie, un pied-de-nez que le ciel adresse à la tyrannie de Mamadi Doumbouya.
Un enlèvement comme tant d’autres
Quand cet après-midi-là, des inconnus encagoulés l’ont extrait de sa voiture, après en avoir brisé le pare-brise, Habib Marouane Camara a compris qu’il allait subir le sort de ses prédécesseurs, Foninké Mengué, Billo Bah et Saadou Nimaga, et que ses compatriotes ne sauraient pas de sitôt où il se trouve, s’il est mort, vivant ou agonisant dans un cul-de-basse-fosse, sous l’effet foudroyant de la gégène. Mais du fond de son trou, dans les bras de ses tortionnaires, il pouvait penser à cette naissance annoncée et s’y accrocher de toutes ses forces pour éviter de sombrer dans le désespoir ou dans la folie.
Un espoir fragile dans une Guinée à bout
Et voilà que c’est fait ! Son bébé est là, tout frais, tout pur, merveilleux de beauté et d’innocence, à l’abri pour l’instant des coups de crosse et des brodequins mais dont personne ne sait s’il a encore un père ou s’il est déjà orphelin. Ce bébé, il ne l’a pas encore vu. Le verra-t-il seulement un jour ? Il ne connaît ni son nom, ni son visage, ni même la date exacte de sa naissance. Il ne peut que supposer sa présence au monde. Il ne peut que deviner son portrait qu’il imagine naturellement assez proche du sien.
Un symbole d’espoir ou un nouveau mirage ?
Ce bébé, tous les habitants de Conakry ne l’ont pas vu, non plus. Beaucoup hésitent à lui rendre visite (avec la police secrète guinéenne, on ne sait jamais !). Mais tout le monde est au courant, tout le monde en parle. Les plus superstitieux pensent qu’elle a été envoyée pour vaincre les démons, pour sortir le pays du cercle vicieux de la misère, de la solitude et des dictateurs sanguinaires dans lequel il végète depuis 1958.
À DécouvrirLe Kangourou du jourRépondreC’est comme ça, les peuples au bord du désespoir rêvent tous d’une Jeanne d’Arc ! Sauf que s’agissant de la Guinée, désespoir est un mot trop faible. Hélas, aucun lexicologue n’a songé à inventer le mot qui convient pour exprimer le désarroi d’un peuple qui, après avoir subi Sékou Touré et Dadis Camara, gémit à présent sous le joug de Mamadi Doumbouya. Ce putschiste arrivé au pouvoir le 5 septembre 2021 avait promis la liberté, la justice et un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Des promesses de Gascon ou plutôt de Mamadi Doumbouya ! Au contraire, il ne se contente pas de violer la charte de la transition sur laquelle il a juré, en briguant un mandat auquel il n’a pas le droit, il se fait en outre le malin plaisir de produire des veuves et des orphelins, tous les matins que fait le bon Dieu.
* 1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex aequo pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, Prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, Prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et Prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.
Le Point Afrique