Découverte du virus du sida : « C’est la pression des associations qui a permis d’obtenir un financement spécifique pour la recherche sur le VIH »

Découverte du virus du sida : « C’est la pression des associations qui a permis d’obtenir un financement spécifique pour la recherche sur le VIH »

20 mai 2023 Non Par LA RÉDACTION

Propos recueillis par – Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Une affiche de l'association Act Up-Paris lors d'une manifestation le 1er janvier 2021 à Paris, à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida. (SOPHIE LIBERMANN / HANS LUCAS / AFP)
Quarante ans après la découverte du VIH, Bruno Spire, directeur de recherche à l’Inserm et ancien président de Aides, revient sur le rôle des associations de malades du sida et l’évolution de leur collaboration avec les chercheurs.

De « l’incompréhension » à une « relation de confiance ». Il y a 40 ans, le 20 mai 1983, une équipe française découvrait le VIH, le virus du sida. En quatre décennies, le quotidien des malades s’est grandement amélioré, notamment grâce aux trithérapies et à la PrEP, traitement préventif pour les personnes à risque d’exposition au virus. Des avancées permises notamment par le travail mené en partenariat avec les associations de patients, qui œuvrent avec les chercheurs pour trouver un vaccin ou un traitement définitif contre le virus qui a fait plus de 40 millions de morts dans le monde.

« Les associations militantes ont vraiment permis de poser sur la place publique la question du sida », se souvient auprès de franceinfo Bruno Spire, médecin et directeur de recherche à l’Inserm, spécialiste des questions liées au VIH. L’ancien président de Aides entre 2007 et 2015 revient sur le chemin parcouru depuis la découverte réalisée par les chercheurs Luc Montagnier, Jean-Claude Chermann et Françoise Barré-Sinoussi et sur le rôle des militants dans ces travaux.

Franceinfo : Comment le virus du sida a-t-il été découvert en 1983 ?

Bruno Spire : Au début des années 1980, des chercheurs ont trouvé un virus à partir d’un ganglion d’un patient qui a développé le sida quelques années plus tard. C’était la première fois que l’on voyait ce type de virus. Et ce qui était difficile à l’époque, c’était d’être certain que ce virus était bien la cause de ce qui arrivait aux malades. Il a fallu le confirmer, faire des prélèvements chez d’autres patients et faire des recherches pour concevoir des tests de dépistage. Nous ne nous sommes pas dit du jour au lendemain, d’un seul coup : « C’est la cause ».

C’était une équipe de chercheurs qui était nouvelle et peu connue à l’époque. Il y a eu beaucoup de doutes dans la communauté scientifique française, qui disait : « Qui sont ces gens que l’on ne connait pas et qui pensent avoir trouvé l’agent responsable du sida ? » Les doutes des collègues français se sont, comme par hasard, un peu levés au moment où, un an plus tard, une équipe américaine a reproduit ces résultats en disant que c’étaient eux qui avaient découvert la cause du sida, alors que c’était le même virus qu’ils avaient redécouvert.

Vous parlez de doutes de la communauté scientifique. Qu’en était-il chez les politiques français ?

Le monde politique ne s’intéressait pas, de manière générale, à la question du VIH. Ils ne voulaient pas trop se mouiller et prendre position. Le sujet leur paraissait un peu sulfureux, à cause du mode de transmission du virus, sexuel ou par l’usage de drogue. Ils n’avaient pas envie que ces thèmes soient sur la place publique. A l’époque, la recherche sur le sida était vraiment une affaire technique et les politiques ne s’en mêlaient pas du tout au début. C’est quelque chose que, nous, les chercheurs ou les associations, nous regrettions.

Les associations, comme Aides ou Act Up-Paris, étaient très actives pour alerter l’opinion publique à travers des actions parfois coup de poing. Pour quel résultat ?

Ces associations et leurs militants ont permis d’imposer réellement le sujet du sida. C’est cet activisme qui a permis de créer, notamment, l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS). C’est devenu ensuite l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales, qui s’étend aujourd’hui aux maladies infectieuses émergentes. Il ne faut pas oublier que c’est la pression des associations qui a permis d’obtenir un financement spécifique pour la recherche sur le VIH.

« Cette pression doit continuer aujourd’hui, parce qu’on n’a toujours ni vaccin préventif ni traitement définitif qui permet de guérir complètement les malades. »

Bruno Spire

chercheur à l’Inserm et ancien président de Aides

La recherche ne s’est pas arrêtée avec la découverte du virus. Quelle a été la relation des chercheurs et chercheuses avec les associations ?

Au début, il y avait beaucoup de méfiance de la part des associations par rapport aux chercheurs, simplement parce que les scientifiques n’allaient pas assez vite. La situation était catastrophique. Tous les jours, on allait à des enterrements de camarades. Les associations avaient énormément de questions auxquelles personne ne répondait.

Et puis, petit à petit, il y a eu une intégration dans la communauté des chercheurs de représentants associatifs qui sont venus donner leur avis. Les chercheurs ont aussi été invités dans les associations pour expliquer comment ils travaillaient. Une relation de confiance s’est créée et nous sommes arrivés à une troisième phase à la fin des années 2000. Les associations peuvent désormais mener des projets de recherche en collaboration avec des chercheurs.

Vous parliez de désintérêt du politique pour le sida dans les années 1980. Où en est-on en 2023 ?

Il y a toujours des financements pour la recherche sur le VIH. On est loin d’être les plus mal lotis. Mais il faut tout de même nuancer, car la recherche en France n’est pas aussi bien financée que dans d’autres pays. Cela dit, si nous avons toujours des financements, c’est parce que les associations sont constamment présentes. Elles mettent cette pression indispensable pour pouvoir aboutir, un jour, à un vaccin ou un traitement définitif